Puls(at)ions urbaines #2 – Adelsa

Originaire du Bugey, Adelsa a choisi Lyon pour poser plus anonymement ses collages et ses graffs. Des cœurs, beaucoup, et des phrases qui parlent d’amours brisées et de trahison. Elle qui ne se voit que comme une modeste gribouilleuse a commencé par déverser sa colère avec un premier graffiti au message limpide : « Puisque tu n’entends pas. Puisque tu n’écoutes pas. Je le crie sur les murs ». Parcours d’une catharsis qui ré-enchante l’urbain.   

L’art peut-il guérir le cœur d’Adelsa ?

La trahison amoureuse est une expérience universelle. « Tchao ! Bye bye, baby ! » Une bonne baffe dans ta gueule. Viennent la colère, la solitude, la tristesse, l’amertume, le regret, puis on se remet… ou pas. C’est cette expérience douloureuse qui conduit depuis un an Adelsa à poser dessins et textes sur les murs de Lyon, à la Croix-Rousse ou dans le vieux Lyon. « Le pire, ce n’est pas que ton mec se barre avec une danseuse de 28 ans… Le pire c’est que juste avant, il ait pu te répondre “Yes Baby” à une demande en mariage ! Le pire c’est qu’il ait pu te dire trois semaines avant de partir : “Je t’aime comme jamais j’ai aimé”. Le pire, c’est qu’il ait pu te regarder dans les yeux en te disant qu’il n’y a personne d’autre ». Pour Adelsa, le street art est une purge vitale, une façon de se libérer en criant au monde et au premier concerné combien son cœur est brisé, en miettes. Elle qui côtoyait depuis plusieurs années le milieu du street art sans jamais avoir osé se lancer, se met à sortir la nuit pour venger son cœur trahi. « C’était un besoin, un besoin de sortir. D’autant que je savais que tout ce que je poserai sur les murs, il le verrait ». Sans bien savoir ce qu’elle risque, elle colle et graffe, nécessité impérieuse, sans se soucier des caméras de sécurité qu’elle n’a appris que bien plus tard à repérer ! Elle l’avoue, son premier graff n’est pas une réussite : un cœur vert « Yes Baby » qui s’acharne à résister au temps dans le Passage Mermet. Mais depuis, elle a posé un peu partout des cœurs d’une poésie touchante, convoquant des références de sa jeunesse pour appuyer le message. Garcia Lorca, Duras, Saint-Exupéry, Gainsbourg, Shakespeare, etc., sont également appelés à la barre pour témoigner des ravages de l’amour, de la naïveté du romantisme au risque de la confiance. « Aimer, c’est prendre le risque d’être détruit. Le dire, c’est ma façon de ne pas l’avoir avec moi : je le laisse sur le mur. Cette peine que j’ai eue, elle est sur le mur. Chacun se soigne comme il peut ! ».

Et que peut l’art pour nos cœurs ?

L’art guérit-il les cœurs ? Pas sûr qu’il suffise. Mais, au fait, s’agit-il bien d’art ? On se serait bien passé de la question, et si elle s’impose ici, ce n’est que parce que Adelsa peine à se définir comme artiste. Épargnons-nous les arguties sur les multiples définitions de l’art, sur la valeur esthétique intrinsèque ou non d’une œuvre, sur la puissance de l’institution dans le processus de labellisation d’une œuvre, etc. Paradoxalement, l’art qui travaille sans cesse à déboulonner les normes est profondément régit par des normes. Et, certes, la norme n’est pas du côté d’Adelsa, enseignante la semaine, graffeuse masquée les week-ends : « Je suis pas Cart’1, Don Mateo ou Pec, ces artistes, dont j’ai vu certains travailler, qui font des grandes fresques, qui ont un atelier… C’est ça un artiste. Je suis pas artiste, je ne sais pas dessiner. Je fais mes petits gribouillages à la maison et je vais les coller. N’importe qui est capable de le faire ». Peut-être, mais tout le monde ne le fait pas… Il y a cette nécessité d’un passage à l’acte : transformer cette souffrance, matière brute à modeler. La question n’est alors pas de savoir si Adelsa sait dessiner, elle est de savoir comment son obsession intime peut nous toucher et faire œuvre. Peut-être l’universalité de l’expérience y est-elle pour quelque chose, car « tout le monde a vécu un chagrin d’amour, tout le monde a vécu ce que j’ai vécu ». Peut-être est-ce aussi, ou surtout, la capacité de l’œuvre à ne pas rester enfermée en elle-même et à déborder son propre propos. D’ailleurs si Adelsa évoque des cœurs brisés, on pourrait préférer les voir comme des cœurs qui se réparent, agrafés, couturés, mais raccommodés. Adelsa ne fait pas que livrer sa peine. S’adresser à celui qui l’a trahie n’a été qu’un détour pour nous parler à tous : « La rue, c’est d’abord pour lui, pour qu’il voit. Maintenant, je le fais pour moi. Et je puise dans ce que j’entends, dans ce que je lis pour traduire ce que je ressens. Les gens se l’approprient, à partir de ce qu’ils ressentent eux. Je me rends compte que beaucoup sont curieux de ce que je fais. On me contacte, des « chasseurs » prennent les photos, les font tourner, commentent, collectionnent… » Avec sa bande de « gribouilleurs », comme elle les appelle, Théo, Ghappix, Mado ou Sceriffo, Adelsa nous dit que la rue nous appartient à tous, que des murs graffés peuvent calmer nos angoisses, que les portes cochères barrées d’un « Je t’aime » éclairent la grisaille des matins. Il y a du jeu et de la poésie dans ces œuvres parce qu’elles sont là où elles ne devraient pas, là où on ne les attend pas. Elles font irruption dans le paysage et bousculent les attendus de la ville. Adelsa réenchante la rue, instille sa poésie dans la matière urbaine et nous invite à une pose. Il y a de l’universel dans tout cela et il faudra plus qu’un coup de peinture des services de nettoyage pour l’effacer.

 

Photos @adelsa_bugey et @graphull_____

Gus