Le poète qui s’avéra noir et le poète noir qui s’avéra femme

I.
Je ne me souviens pas des mots de mon premier poème
mais je me remémore une promesse
faite à mon stylo
de ne jamais le laisser
tremper
dans le sang d’un quelqu’autre corps

II.
Je suis née dans l’intestin de la négritude
spécifiquement d’entre les cuisses de ma mère
elle a perdu les eaux sur les fleurs bleues du lino de la cuisine
puis est sortie faire fondre la neige dans le froid de Harlem
vingt-deux heures, une nuit de pleine lune
ma caboche hirsute ronde comme une horloge
« tu étais si sombre » a dit ma mère
« j’ai cru que tu étais un garçon. »

III.
La première fois que j’ai touché ma sœur      en vie
j’étais sûre     que la Terre avait remarqué
mais nous n’avions rien de nouveau
la fausse peau pèle comme un gant jeté au feu
flamme attelée       j’étais
sanglée jusqu’au bout de mes doigts
son chant      écrit dans mes paumes      narines      ventre
bienvenue chez moi
dans un langage      que j’ai aimé rouvrir

IV.
Nul esprit froid n’a parcouru mes os
au coin d’Amstredam Avenue 1
aucun chien ne m’a jamais confondue avec un banc
ni un arbre    ni un os
aucun amant n’a songé à mes bras bruns dodus
comme à des ailes ni ne m’a appelée condor
mais je me souviens des innombrables
yeux qui m’effaçaient
comme un rendez-vous malvenu
envoi en port dû
timbré d’orange     de rouge     de mauve
n’importe quelle couleur
sauf noir     ni choix
ni femme
vivante.

V.
Je ne me souviens pas des mots de mon premier poème
mais je me remémore cette promesse
faite à mon stylo
de ne jamais le laisser
tremper
dans le sang de quelqu’autre corps

 

1 Peut-être une allusion au 891 Amsterdam Avenue, une résidence pour femmes indigentes plus que séculaire (fondée en 1838, c’est encore aujourd’hui un établissement d’action sociale), qui a été crééee par un groupe de femmes, constituées dès 1813 en collectif de solidarité, The Association for the Relief of Respectable Aged Indigent Females.
Sororité, dirions-nous aujourd’hui…