Orange Mécanique 1

Dimanche, de retour de Sète, mon Tgv s’arrête à Orange. Le haut-parleur grésille, deux minutes d’arrêt. Les quais sont déserts, le vent souffle en rafale, aucun tag. Une ville propre sans crotte de chiens ! Souvenir, souvenir… J’ai travaillé quatre ans à Orange, et un matin, j’ai décidé de fuir. Le train démarre, le blues s’en va. Je tape « Orange ville morte » sur mon ordinateur et tombe sur le documentaire disponible en version complète de Bernard Richard et Jean-Baptiste Malet : « Mains brunes sur la ville« . L’histoire a commencé.

Si vous passez par Orange, allez boire un café sur la place de la mairie, et observez les entrées et les sorties. Vous comprendrez beaucoup de choses. Chemises sous polos style casual, parce qu’être identitaire c’est aussi “avoir la classe. Les Ray Ban et la veste de cuir, “ça fait partie de leur façon de vivre et d’être”. Sortir Charlie hebdo, ce qui était mon habitude lorsque je venais boire un café, n’apportait qu’un regard dédaigneux ; j’oubliais que j’étais chez eux … Seul le sourire complice du jeune serveur me confortait. Peut-être savait-il qui j’étais, où je travaillais… Je l’ai compris plus tard, mais ceci est une autre histoire dont je vous parlerais une prochaine fois. Annonce dans une agence immobilière, »loue appartement , entrée sécurisée », mot de passe magique dans cette ville !

Le film continue de tourner. Il montre bien les intimidations politiques, la propagande, les coupes dans les budgets associatifs, la mise en place à peine voilée d’une politique de préférence nationale, le rejet des enfants d’immigrés … La privatisation des services publics, la fermeture des centres sociaux et le renforcement d’une police municipale, spécialiste des bombes à gaz. L’achat d’ouvrages d’anciens collabos par la bibliothèque municipale, l’effondrement des budgets sociaux et culturels au profit de la sécurité ou du chouchoutage des électeurs du 3ème âge (organisation à grands frais de thés dansants ou de fêtes médiévales).

Je me souviens… Danielle Gilbert était devenue la star des attractions culturelles de la ville d’Orange. La preuve, c’est une des rares affiches culturelles qui recouvre annuellement les panneaux d’Orange, ville sans graffs ni tags, couvertes d’autocollants identitaires, ville propre.

Dix-sept ans après l’élection de Jacques Bompard à Orange, quatre ans après celle de Marie-Claude Bompard à Bollène, le journaliste Jean-Baptiste Malet et le réalisateur Bernard Richard ont tourné, à l’occasion des cantonales de mars 2011, ce documentaire saisissant, « Mains brunes sur la ville « , consacré aux deux municipalités du Vaucluse dirigées par la Ligue du Sud (formation issue du Front national, mélange de cathos traditionalistes et d’identitaires). Ce film, malheureusement pas assez connu, est aujourd’hui proposé en version gratuite sur Internet*.

Si on a beaucoup parlé de Toulon et Vitrolles dans les médias, et aujourd’hui de Hénin-Beaumont, peu a été dit d’Orange . Pourtant le constat est édifiant et, malgré les dissensions à l’intérieur de l’extrême droite, la ville pourrait bien servir d’exemple pour le Front national, en vue des municipales de 2014. « Bompard a bien géré sa ville », estime Steeve Briois, secrétaire général du Front national. « Par rapport aux autres villes socialistes qui ont fait une politique de l’autruche en matière de sécurité, comme Roubaix ou Hénin-Beaumont, oui, c’est un modèle pour le FN« . De fait, Jacques Bompard est chaque fois réélu haut la main. Dès le premier tour et avec plus de 60 % des voix lors des municipales de 2001 et 2008.

A quoi ressembleraient les villes de France si elles étaient gouvernées par l’extrême droite ? Sans doute à un grand format de la gestion pratiquée à Orange et Bollène, les deux villes aux mains du couple Bompard qui, dans le silence médiatique, y ont appliqué leur programme.
Si le film fait froid dans le dos, mes souvenirs sont pires. Il règne dans cette bourgade une peur généralisée, cette ville est morte ou totalement artificielle. Une partie moins visible de l’iceberg est la disparition des structures d’État. L’infiltration dans tous les milieux de cette idéologie sournoise. La caméra de Bernard Richard et de Jean-Baptiste Malet n’a été ni dans les conseils de classe, ni dans les commissariats, ni dans les services administratifs de l’État. Dommage, car le constat est terrible. La parole libérée dont on parle souvent dans l’actualité d’aujourd’hui y est quotidienne. Des propos tenus dans certains conseils de classe où j’étais présent sont indignes de ce que doit être un service public. Évidemment les gens ne sont pas racistes, ni fascistes, « J’ai un ami noir…« . De manière insidieuse, cette idéologie devient presque naturelle.

Demain peut être nous réveillerons-nous avec une vingtaine de villes sous la coupe du FN. Qu’adviendra-t-il ? Nous le savons…

 

Franck du Zèbre (résident de la république)

* MAINS BRUNES SUR LA VILLE Jean-Baptiste Malet, Bernard Richard