Istanbul 3
Le troupeau est moins fourni qu’hier mais il semble que le bistrot du matin soit le lieu de rendez-vous after queer du quartier.
Ils ont l’air fatigués mais cela n’a rien à voir avec une sortie de boîte chez nous. Aucun signe d’ébriété ni de consommation de stupéfiants, ils ont l’air heureux.
Mon café est moins bon que les autres matins et le serveur pourtant si sympathique jusqu’ici a semblé m’ignorer quand je suis arrivé. J’ai attendu presque 3/4 d’heure mon café. Je ne sais pas ce qui a pu se passer. J’espère que nous n’avons pas été offensants à un quelconque moment, je ne crois pas.
Istanbul me fait beaucoup penser à l’Espagne des années 80. La vitalité créative sur les murs de la ville montre un esprit militant et/ou contestataire fort. Il y a aussi un mélange très marqué entre culture traditionnelle et modernité.
Ce sont aussi les vendeurs de mouchoirs ambulants et les cireurs de chaussures de rue qui me ramènent à cette Espagne.
La pauvreté n’est pas criante mais on sent une certaine précarité. Les temps de travail ont l’air éprouvants.
Au début des années 2000, j’ai travaillé dans une grande enseigne de supermarchés en Espagne. Je touchais le SMIC qui s’élevait à 650€ par mois pour 41heure de travail sur 14 mois. J’avais un jour de repos par semaine. Ici le salaire minimum est à 550€
Même avec un niveau de vie pour moitié inférieur à la France, tous ces travailleurs ne peuvent que survivre. 
Dans les rues on croise des personnes tirant des charrettes. Certaines sont chargés de colis destinés aux divers grossistes qui sont autour du grand bazar, le quartier est sur une colline, les charriots sont surchargés et la route n’est pas ombragée. Ce travail doit être harassant.
D’autres charrettes portées par des vieillards, des enfants ou même une femme voilée de la tête aux pieds ramassent les plastiques et tout autre produit recyclable. Dans le cas de la dame que nous avons croisé deux jours d’affilé, une gamine de 3 ou 4 ans dormait sur le tas de déchets.
Mis à part laisser des pourboires aussi conséquents que notre budget le permet, nous sommes impuissants.
Je continue à croire qu’en France, le bas de l’échelle des travailleurs mérite mieux en termes de salaire et de temps de travail. La classe dirigeante politique comme économique et médiatique martèlent que nous sommes des privilégiés. C’est faux. Ce sont les Turcs et tant d’autres qui sont défavorisés. Nous ne devons pas abandonner nos droits et nos acquis, nous devons faire en sorte que tous ceux qui ne les ont pas encore les obtiennent. Travailleurs de tous les pays, unissez vous.
Hier donc, Bidule est resté à l’hôtel. Nous faisions le tour des mosquées dont Sainte Sophie et la Mosquée Bleue. Entrer à sainte Sophie est très cher. D’autant que quand nous avons réservé il y a quelques mois en arrière, nous nous sommes trompé et nous avons réservé le musée mais pas la mosquée. Nous sommes partis de l’hôtel et avons rejoint le tramway, il a fallu recharger la carte de transport en argent. Un agent nous a aidés car nous ne sommes toujours pas au point avec ces machines dont l’écran en Français parle encore un peu turc.
Le trajet prend un petit quart d’heure et traverse le pont Galata avant de rejoindre les mosquées. Nous avions des instructions pour récupérer nos billets d’entrée à la basilique. Un jeune homme était effectivement là avec un petit drapeau rouge pour contrôler notre réservation et nous donner nos tickets. C’est à ce moment que nous avons appris que la visite de Sainte-Sophie n’était pas incluse.
Il était encore tôt et la foule de touristes n’était pas encore arrivée. Nous avons opté pour faire la queue à la billetterie du monument avant que cela devienne infernal. Nous ne nous voyions pas repartir d’Istanbul sans être rentrés dans cette architecture millénaire.
La file était importante mais pas désespérante. En moins de vingt minutes nous avions nos tickets.
Nous passons le désormais traditionnel contrôle de sécurité en nous disant que nous étions au point sur la question, portables, montres, briquets à part, le reste du sac sur le tapis roulant, hop hop ! Le tour est joué.
Nous montons une pente douce mais longue et nous arrivons sur les hauteurs du monuments, le bas est réservé aux fidèles.
J’ai jeté un coup d’œil rapide à la splendeur du lieux avant de me raviser et de faire un saut sur Wikipédia pour avoir un historique avant. C’est incroyable. La hauteur du dôme est vertigineuse et je me fais la réflexion que chez nous, il a fallut attendre un demi-millénaire pour construire une cathédrale gothique. C’est notre journée sans Bidule mais il ne me manque pas trop, il y a des centaines de Bidules autour de nous. Je l’ai probablement déjà évoqué, cet endroit est le paradis des Bidules. Les ornements, les fresques sont somptueux. Je prends des Bidules en photo avec leur perche à selfie. Je fais une vidéo pour l’envoyer à maman.
Je regarde en bas, c’est l’espace réservé aux croyants. Je ne mets pas en doute leur foi et je me demande si la prise de selfies est un des piliers de l’islam. Plus tard dans la journée, je constaterai d’autres différences majeures avec notre comportement dans une église et le leur dans une mosquée.
La visite était chère mais effectivement, passer à côté n’était pas une option.
De l’autre coté de l’esplanade se trouve la mosquée bleue qui, elle, est gratuite. La mosquée en elle même est très grande mais le site où elle se trouve est immense. De nombreux bâtiments la composent. Six minarets l’entourent. En nous dirigeant vers l’entrée, nous voyons des touristes entrer et sortir de quelque part. Il faut se déchausser. C’est sûrement une petite mosquée. Ce sont des sépultures. Nous aussi avons enterré nos rois dans nos églises. La manière dont ils sont présentés m’est un peu désagréable. D’une part, il y a beaucoup de tombeaux d’enfants mais aussi, le fait qu’ils soient recouverts de tissus très précieux me donne l’impression que l’inhumation n’a pas encore eu lieu.
Nous allons vers l’entrée de la Mosquée Bleue. Il y en a une pour les touristes et une autre pour les fidèles. Avec Romuald nous nous sommes habillés en pantalon et chemises à manche longue. Heureusement, le ciel était couvert et il ne faisait pas trop chaud. Les touristes en short se voient remettre une jupe pour couvrir leurs jambes. Chez certains hommes cela leur donne une dégaine vraiment cocasse. Une moitié de la mosquée est réservée aux touristes. Dans celle réservée aux croyants règne une solennité certaine qui contraste fortement avec la moitié réservée aux mécréants comme moi. Cela ne m’empêche pas de m’émerveiller devant la richesse de l’endroit.
Je refait une vidéo pour maman. Je me promène la tête en l’air et je reçoit un message de Romuald.
« Je t’ai perdu, je t’attend dehors »
« J’arrive »
Je m’arrête devant un présentoir où de la littérature islamique gratuite est offerte aux touristes. Je prend un « abc de l’islam ».
Savoir c’est pouvoir.
Je rejoins Romuald et nous nous dirigeons vers le musée dont nous avions payé l’entrée par erreur quelques mois avant de partir.
Dés l’entrée nous sentons que cette visite sera en mode « entertainment» à l’américaine. Le musée consiste en une déambulation de salle en salle avec des vidéos immersives, les visiteurs portant un casque audio sur les oreilles. C’est l’histoire de Sainte-Sophie racontée par Stephane Bern et Laurent Deutsh. On ne peut pas dire qu’on a passé un mauvais moment mais c’est pas vraiment ce que nous attendons d’un musée.
Nous continuons la route des mosquées mais l’idée de se faire une bière nous traverse l’esprit. Nous nous éloignons du grand axe à touristes qui part de l’esplanade et qui rejoint le grand bazar. Nous trouvons un bistrot d’hôtel avec une terrasse ombragée et climatisée avec des ventilateurs brumisateurs qui brumisent beaucoup. Comme la bière est à moitié prix comparé à Lyon, on en prend deux.
En repartant de là, c’est l’heure de manger. On trouve une échoppe où ils ont l’air de vendre des sandwiches dans des galettes assez appétissants. Nous ne savons pas ce qu’il faut commander mais la carte est simple, y’a des brochettes de bœuf piquante ou des brochettes de bœuf pas piquantes. On prend les piquantes. Ça pique. C’est bon.
C’est Romuald qui va payer et nous partons. Romuald me dit que c’est particulièrement pas cher. Un jeune homme nous court après. On n’a pas payé ma part. Même en doublant la note, c’est pas cher. Nous avons juste un peu honte.
Pour rejoindre la mosquée que nous voulons voir, nous devons traverser un quartier ultra com
merçant. Il y a beaucoup de gens qui achètent des contrefaçons. Nous cherchons un autocollant d’Istanbul pour la caisse de voyage de Bidule. Nous rentrons dans une boutique, deux personnes sont là. Le patron nous dit qu’il n’en a pas mais que si on en veut son ami ici présent peut nous les fournir. Nous n’en voulons pas 20 cartons. Ils sont très sympas, ils nous conseillent sur les visites à ne pas manquer et en partant l’un d’eux offre à Romuald un petit porte bonheur accroché à une épingle à nourrice dorée. Charmante attention.
Arrivés à destination, la vue sur Istanbul et le Bosphore depuis l’esplanade de la mosquée est incroyable. J’ai très envie de pisser depuis que nous sommes sortis de la boutique à sandwich qui ne possédait pas de toilettes. Je peux difficilement profiter de la vue en ne pensant qu’à ne pas me faire dessus. Il y a des toilettes, on paye 10LT (environs 2€) pour se soulager.
Là encore il y a un espace pour les touristes et un autre pour les fidèles. Je constate que la mosquée n’est pas qu’un lieu de prière, pour le moins la connexion avec Dieu est différente de celle que je connais. Il n’y a presque aucun meuble. Le sol est un immense tapis épais sur lequel on peut prier mais aussi dormir, seul ou en famille. J’en ai déjà vu dormir à la messe mais je ne suis pas certain que la sieste soit une activité normale dans des églises.
Là encore, il y a des outils de propagande destinés au public. J’en prend un autre que je feuillette rapidement. J’y trouve des preuves scientifiques irréfutables de l’existence de Dieu.
On rentre à l’hôtel faire une sieste.
On est retourné manger à la cantine de la veille.
On a bu du vin turc et bon dans notre piaule à l’hôtel dans des verres en carton.
C’était l’heure de dormir.
Ce matin y’a du vent, on va voir d’autres mosquées et des maisons colorées.
PJ Blanchon
PJ est également artiste plasticien et travaille avec Romuald sous le nom de Romuald&PJ
