Les Castagnettes de Carmen # 41

Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók à l’Opéra de Lyon

C’est une expérience pour le moins originale, mais très suggestive, que propose le metteur en scène ukrainien Andriy Zholdak avec ce Château de Barbe-bleue. Composé d’un seul acte, l’opéra de Béla Bartók dure à peine une heure. Cette brièveté permet d’en livrer à la suite deux interprétations, au double sens de performance musicale et de lecture de l’œuvre. Il ne s’agit cependant pas de la juxtaposition de deux mises en scènes distinctes, prouvant la multiplicité des niveaux ou cadres de perception d’une même pièce. Les deux interprétations se font écho l’une l’autre, que ce soit par des éléments de décor récurrents, la présentation en vidéo lors de la première exposition d’éléments de la seconde, ou encore des interprètes communs — en premier lieu Károly Szemerédy dans le rôle de Barbe-Bleue mais également des comédiens et comédiennes au jeu silencieux.

La tonalité est cependant très différente d’une mise en scène à l’autre. La première est sobre, située du début à la fin dans le même décor tout en jouant sur les variations de lumière, et est accompagnée de vidéos en noir et blanc évoquant la tonalité gothique des films d’horreur américains des années 1930. La seconde est, disons, profuse voire débordante. Les comédiens sont plus nombreux qui passent d’une pièce à l’autre sur le plateau tournant, tandis que la vidéo permet de voir ce que font ceux situés en hors champ. Le décor surjoue le sordide (le frigo d’une cuisine répugnante maculé de sang, une salle de bain vétuste…) et la mise en scène tant de l’action principale que des scènes secondaires recourt à l’obscène si ce n’est au scatologique et au gore, le tout dans une tonalité queer affirmée.

Le Château de Barbe-bleue a été inspiré au librettiste Béla Bálazs par le conte de Charles Perrault et chacun sait depuis Bruno Bettelheim que les contes de fée sont propices à l’interprétation, psychanalytique ou autre. La profusion des signifiants exposés par la seconde mise en scène d’Andriy Zholdak laisse dans le cas présent un peu pantelant et désorienté, non par manque de lisibilité mais au contraire par excès démonstratif.

Reste une belle direction de Titus Engel et, outre celle de Károly Szemerédy, les interprétations contrastées mais d’égal talent du rôle de Judith par Kai Rüütel puis Anna Lapkovskaja.

De fait, il n’y a pas que Judith qui prenne des risques en ouvrant successivement les sept portes du château de Barbe-Bleue : le public aussi, qui doit s’attendre à être bousculé et troublé. Après tout, l’opéra sert aussi à ça.

Carmen S.

Pour plus d’infos : https://www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2022-2023/opera/le-chateau-de-barbe-bleue-2

(c) Stofleth