« Féminisme de merde » ? Pour répondre à l’irritation rétrograde des masculinistes, cette rubrique cultive l’intelligence de la nuance et montre que de l’art à la littérature, en passant par le cinéma et la recherche scientifique, tout est bon dans le féminisme !
Puissance et vulnérabilité : la voix/e des femmes – Exposition de Karine Priot
N’en déplaise à Gérald Darmanin, les violences faites aux femmes restent un triste sujet dont il faut urgemment s’occuper. La plasticienne Karine Priot, enseignante à l’INSA Lyon le jour et artiste la nuit a souhaité, avec une performance à la fois sportive et artistique, rendre hommage à celles qui sont tombées sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints. Terre contre Terre en est le témoignage
Quand le sport devient une performance artistique
Eté 2021 – Les multiples confinements sont à peine derrière nous. Peu à peu on se relève. La suite va commencer. Un chiffre tombe : en 2020[1], une centaine de femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Glaçante réalité mais réalité quand même. Personne ne peut rester insensible au sort de ces victimes et encore moins la plasticienne Karine Priot qui souhaite leur rendre hommage à travers une performance à la fois sportive et artistique : « il me fallait faire quelque chose. Dire quelque chose à ma façon pour que ces femmes ne soient pas oubliées, précise-t-elle, encore sous l’émotion. » Elle cherche, elle explore, elle expérimente les matériaux : les idées fusent… Puis soudain, elle trouve la meilleure voie/x : parcourir la France dans sa largeur avec pour seuls moyens : une bicyclette, une tente Quechua et un mini-réchaud. Du Mont Cenis près de la frontière italienne à la plage d’Hourtin sur la côte atlantique, elle va pédaler et laisser des traces dans des endroits où ont été recensés des féminicides. Un long chemin, physiquement éprouvant qui invite à la méditation et au recueillement.
Terre contre Terre
Doublant la performance physique, l’engagement artistique est central. « J’ai conçu 36 araignées en terre cuite avec l’idée de les déposer dans les villages identifiés, dans des endroits publics tels qu’un parvis de mairie, d’une bibliothèque ou d’une école. Je dépose une araignée et je récolte en retour une poignée de terre que je ramène avec moi. », ajoute-t-elle. Terre contre Terre donc. Don contre don.
Au final : 1500 kms parcourus en 21 jours, 36 modelages déposés contre 36 sachets de terre récoltés. Du froid, de la pluie, du soleil, des piqûres de moustique, du bronzage aléatoire, des doigts gelés, des courbatures, des cheveux sales, de l’émotion et une détermination à toute épreuve. « Mes lectures de Mona Chollet (insta) ont beaucoup influencé mon travail. Je voulais transmettre à la fois la fragilité et la force de ces femmes » et c’est chose faite. Si quelque chose transparaît immédiatement dans l’œuvre et le récit de Karine Priot, c’est le caractère à la fois puissant et sensible de sa démarche.
Et maintenant que vais-je faire…
… de toute cette terre récoltée ? Laissés dans les petits de pots de confiture étiquetés du lieu de la récolte et du nom de la victime, les fragments ont attendu un an puis deux. A l’occasion d’une exposition « Tous les droits de quel droit ? » organisée le 8 Mars 2023 au Centre des Humanités de l’INSA Lyon (insta), Karine Priot retourne les chercher. Chacun d’entre eux a réagi différemment. Si certaines étiquettes ont disparu d’autres sont encore bien présentes. L’interprétation reste ouverte. En tout état de cause, ils ont été exposés et leur simple présence a permis une fois de plus d’évoquer la vie de ces victimes. Merci Karine.
MC Chouchou
Instagram : @karinepriot
Don contre don – Les pots de terre récoltés – Exposition « Tous les droits de quel droit ? » organisée le 8 Mars 2023 au Centre des Humanités de l’INSA Lyon
[1] 157 en 2019, 114 en 2021, 112 en 2022