La tempête qui vient
Sorti le 17 janvier, La Tête Froide est le premier long-métrage de fiction réalisé par Stéphane Marchetti, auparavant auteur de films documentaires. Catalogué « thriller social », c’est surtout un film bouleversant sur la précarité et la clandestinité, dans lequel Marie rencontre Souleymane. Deux personnages aux destinées a priori ordinaires, mais désormais pris dans la tempête : celle de l’exil et celle des montagnes à la frontière franco-italienne. Bande annonce et Entretien.
Comment es-tu arrivé jusqu’ici ?
J’ai toujours adoré le cinéma sans forcément penser en faire mon métier. Et c’est à la suite d’un stage à TLM que j’ai fait la rencontre décisive de ma vie professionnelle avec Alexis Monchovet ! Avec lui j’ai monté une boite d’abord à Lyon puis à Paris, afin de réaliser reportages et films documentaires pendant plus de 15 ans. La crise de la quarantaine aidant, après avoir écrit plusieurs scénarios de bande dessinée et réussi le concours de la FEMIS, la fiction est revenue taper à ma porte.
Des Enfants de la jungle (de Calais, documentaire 2017) à ceux qui parcourent 9603 kilomètres (BD, Futuropolis 2020), il semblerait que cette thématique de « l’enfance et l’exil » te tienne particulièrement à cœur ?
Absolument. Tout a commencé lors de la rencontre avec une avocate qui passait ses week-ends auprès d’enfants arrivés seuls à Calais, espérant rejoindre leur famille en Angleterre. Notamment une petite afghane de huit ans, pour qui rien n’était prévu, sauf la boue d’un terrain vague. Mon fils ayant sensiblement le même âge à ce moment-là, je l’ai accompagné le w-e suivant pour découvrir l’enfer. Et ça me poursuit encore aujourd’hui. La BD est certes une fiction mais basée sur l’authentique témoignage d’un enfant de 12 ans, parti seul sur la route pour fuir son pays.
Venons-en aux conditions de tournage ? Avec des personnages pris dans la tempête, au propre comme au figuré.
Oui mais ça reste un film et nous n’avons ainsi pas pris des risques insensés. Il n’empêche que le défi du tournage était cette scène de tempête et on a effectivement tourné dans des conditions apocalyptiques : dans le brouillard entre 1500 et 2300m d’altitude et par -15°. Pour témoigner de la réalité d’un passage clandestin de frontière en montagne. Pour que le spectateur puisse ressentir concrètement cet enfer blanc.
La question de l’immigration « illégale » est centrale dans ton film. Elle est aussi constamment sous les feux de l’actualité de la forteresse Schengen à grand renfort de statistiques, lois, faits divers et récupération politique… Sauf que derrière les statistiques, il y a manifestement des vies.
Et mon intention première était vraiment de sortir du « prêt-à-penser » en la matière. De ne pas avoir de discours, moralisateur ou autre, pour rendre compte de quelque chose de concret et ô combien complexe. Raconter une rencontre entre deux personnages avec leur fragilité, leurs mots, leur trajectoire. Qu’on les nomme migrants, exilés ou réfugiés, ces personnes restent très anonymes. L’idée était bien de redonner un visage, un prénom et un avenir potentiel à quelqu’un.
Ton film a certes un coté émouvant voire dramatique, mais jamais donneur de leçons…
Je voulais sortir du discours manichéen genre : pour ou contre l’immigration ? Je ne comprends pas d’ailleurs qu’on puisse encore se poser la question ! Ce phénomène existe depuis la nuit des temps et risque forcément de s’amplifier avec le dérèglement climatique. La question c’est plutôt : comment on fait ?
Entre précarité, dignité parfois mise de côté et petites combines, tu racontes des destins a priori ordinaires qui vont pourtant témoigner d’une grande humanité !
Des gens ordinaires plongés dans des situations extraordinaires. Marie n’est certainement pas une grande héroïne, mais son regard va simplement changer.
Elle crève l’écran mais comme elle le dit elle-même : « je suis magicienne et non pas humanitaire« .
Oui et elle aura à faire face à ses propres contradictions.
C’était important de filmer les plages de Brighton sous le soleil ?
J’avais envie que le sacrifice de Marie serve à quelque chose. Et qu’au milieu de ce marasme, il y ait une petite touche d’espoir, un rayon de lumière. Et un sourire d’enfant.
Tu avais tourné à Rafah dans le sud de Gaza en 2007 : j’ose à peine te demander ce que t’inspire l’actualité depuis qq mois ?
Je pense bien sûr aux familles que j’avais rencontrées et à tous ces gens encore coincés là-bas. C’est un conflit a priori sans fin avec à chaque fois, des civils qui trinquent des deux côtés de la frontière. Mais concernant Gaza à proprement parler, c’est désormais une fuite en avant meurtrière sans précédent.
Difficile mais indispensable de garder la tête froide quant à l’exil ?
Carrément ! N’empêche que concernant Marie qui prend toujours les mauvaises décisions dans sa vie, elle saura faire preuve d’un énorme sang-froid dans la montagne.
Laurent Zine
Article paru initialement dans Arkuchi n° 41
La Tête Froide
« Drame, thriller social » (1h32 / Blue Monday Productions) de Stéphane Marchetti, sorti en salles le 17 janvier, avec Florence Loiret Caille, Saabbo Balde, Jonathan Couzinié etc.