La Force du destin

Les Castagnettes de Carmen # 53

La Force du destin

La Force du destin, c’est le gros morceau du Festival 2025 de l’Opéra de Lyon. Un auteur canonique (rien moins que Verdi), une partition riche en morceaux de bravoure que tout le monde connaît (à commencer par… l’ouverture) et une histoire à faire pleurer Margot d’amours contrariées entre une aristocrate espagnole et l’héritier secret du royaume inca qui se terminera mal à cause d’un frangin jaloux. Le tout en trois heures, savamment découpées en quatre actes, avec solos et duos mémorables, chœurs puissants et chef et orchestre scrupuleusement au service d’une belle musique. De l’opéra conventionnel top niveau, donc, ce qui en soit est déjà gage de grand plaisir pour les oreilles et pour les yeux.

© Jean-Louis Fernandez

Mais, cette fois, il y a plus, et mieux. D’abord par la qualité de l’interprétation. A la baguette, Daniele Rustioni est manifestement dans son élément mais ne cède pas à la facilité qui consisterait à dérouler la partition pied au plancher. Sous sa direction, l’orchestre mise sur la clarté et la nuance, ce qui permet de faire passer crème les passages les plus lourdement appuyés de l’orchestration verdienne. Les deux ennemis Alvaro et Carlo, interprétés respectivement par les excellents Riccardo Massi et Ariunbaatar Ganbaatar, produisent une troublante symétrie tandis que la Leonora d’Hulkar Sabirova exprime sans emphase inutile l’accablement où l’a conduite son indécision. Les seconds rôles — Maria Barakova qui joue la pétulante mais ambiguë bohémienne Preziozilla, ou le bouffon frère Melitone de Paolo Bordogna — savent suspendre le pathétique excessif du livret de Francesco Maria Piave.

Plus et mieux aussi du fait de la mise en scène de Ersan Mondtag et de la dramaturgie de Till Briegleb qui, elles aussi, donnent du relief et du souffle à une intrigue à première vue convenue et désuète. Tous deux ont su relever et mettre en valeur des éléments a priori secondaires pour nourrir une lecture historique et politique de l’œuvre, tels le décor minier du premier acte rappelant l’exploitation des Indiens du Pérou dans les puits aurifères, celui franchement macabre des deuxième et quatrième actes soulignant la complaisance funèbre du catholicisme ou encore la proximité, accentuée par leurs uniformes, entre Alvaro et Carlo qui passent sans guère de transition des protestations d’éternelle amitié virile au combat de coqs fatal.

© Jean-Louis Fernandez

Leonora et Alvaro ont beau s’écrier « malédiction » chaque fois que leur existence bascule, ils ont beau s’en remettre à Dieu pour expier ce qu’ils estiment être leurs fautes mais surtout se déresponsabiliser, c’est bien une conduite humaine que le spectacle donne à voir. Si La Force du destin se termine tragiquement, c’est parce qu’un père raciste (« la bassesse de vos origines… ») a refusé de donner sa fille à un descendant d’Indiens et qu’un frère hyper-macho préfère tuer sa sœur plutôt que de la voir heureuse avec « cet indien maudit qui a souillé [s]on sang ».

La dérision du militarisme, personnifié par Preziozilla et ses absurdes « vive la guerre», distillée à l’acte 3 confirme la conclusion de Prévert : quelle connerie la guerre. La conclusion de l’œuvre entière, en tout cas telle qu’elle est proposée par cette belle et intelligente production, est incontestablement : quelle connerie le sens de l’honneur viril.

© Jean-Louis Fernandez

Dernier volet de ce festival 2025, L’Avenir nous le dira  est une création de Diana Soh qui se joue du 15 au 23 mars au TNP de Villeurbanne. Pas de véritable récit dans le livret d’Emmanuelle Destremau mais une évocation poétique et facétieuse du contrôle du futur et de l’exercice oraculaire par les enfants de la maîtrise de l’Opéra. L’œuvre, mise en scène par Alice Laloy, vaut le détour pour leur performance enjouée mais aussi pour le gigantesque capharnaüm de l’orchestre mécanique qui fournit autant le décor que la production de la musique, parfaitement réglée — comme du papier à musique, selon l’expression convenue — sur le compte à rebours qui surplombe la scène. On ne trouvera cependant aucun déterminisme fataliste dans cette œuvre, où l’évocation des algorithmes est compensée par celle des aléas météorologiques et des constants surgissements du vivant. Et on se rappellera, puisque la fantaisie est de rigueur, la forte pensée de Pierre Dac : notre avenir est devant nous mais nous l’aurons dans le dos chaque fois que nous ferons demi-tour.

Carmen S.

à l’Opéra de Lyon du 14 mars au 2 avril

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