Les castagnettes de Carmen # 45
La Fille du Far West de Puccini à l’Opéra de Lyon du 15 mars au 2 avril
Ce n’est pas une situation très confortable que vit Minnie, cette Fille du Far West qui donne son titre à l’opéra de Giacomo Puccini (sur un livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini), créé à New York en 1910. Minnie (Chiara Isotton) est pratiquement la seule femme — la seule blanche, en tout cas — de ces montagnes californiennes où est rassemblée une horde de chasseurs d’or qui souffrent à la fois du mal du pays et du manque de femmes. Elle parvient certes à détourner leur libido frustrée sur des voies plus éthérées en leur lisant la bible, mais le fait qu’elle soit la patronne du bar local, « La Polka », et à ce titre la principale pourvoyeuse en whisky, ne lui facilite pas les choses. D’autant que son principal soupirant est l’inquiétant Shérif Rance (Claudio Sgura), lancé à la poursuite du bandit Ramerrez (Riccardo Massi), pour sa part spécialisé dans l’attaque de diligences.
On l’aura compris, c’est un véritable western que propose l’Opéra de Lyon comme premier pilier de son festival, intitulé cette année « Rebattre les cartes ». Et jeu de cartes il y a effectivement puisque l’intrigue se dénoue lors d’une partie de poker où Minnie joue la vie de Ramerrez, dont elle est amoureuse, contre le shérif, alors même que les cordes réclament un pendu.
Ce n’est pas par hasard que Puccini a situé son intrigue dans le Far West : l’enjeu était pour lui, en ce début de XXe siècle, de conquérir le public américain en lui proposant une vision stylisée de son folklore national, alors en voie constitution. Le livret n’échappe pas aux poncifs racistes (les Indiens et Mexicains sont fort méprisés) et mobilise les conventions du genre (saloon, chevauchées, poker, coups de feu, shérifs, indiens et bandits) dont le cinéma hollywoodien allait bientôt à faire son miel. La musique elle-même anticipe celle des films avec une ouverture aux cuivres éclatants et des lignes répétitives de contrebasses appuyant les moments de suspens.
Le souci est que le western est un genre qui a mal vieilli, et qui a été justement critiqué pour ses stéréotypes racistes et machistes. La metteuse en scène Tatjana Gürbaca ne s’en sort pas mal, en introduisant suffisamment de distance avec les codes les plus convenus tout en conservant, sous une forme épurée, les éléments de décors indispensables (le bar, les cordes, les revolvers, etc.) ou en y introduisant un peu d’étrangeté (à l’instar de Rance qui, dans le dernier acte, ressemble quelque peu à Alice Cooper). L’atmosphère baignée de jaune, jusqu’à la robe dorée de Minnie, rappelle que c’est la quête effrénée de l’or qui guide l’ensemble des personnages — une quête que seul l’amour vient battre en brèche. Pour emprunter à un autre style musical (celui de Dire Straits), « Love over gold » s’impose comme la morale de La Fille du Far West.
Non pas revolver mais baguette au poing, Daniele Rustioni assure une direction souple sans jamais être tapageuse, et les interprètes paraissent s’amuser dans ce Far West imaginaire. On encourage à prendre la prochaine diligence vers l’Ouest.
Carmen S.
(c) Jean-Louis Fernandez