Cour interdite

Dans la cour de récréation de l’école Michel Servet à Lyon, nuls rires d’enfants ne résonnent sous le préau. Sur le bitume, les traces de craie des marelles s’effacent. Depuis quelques temps l’espace est interdit aux élèves. La pollution du tunnel de la Croix Rousse y crache constamment les résidus de combustion. NOX. Pourtant, durant trois mois, le vide de la cour va laisser de nouveau la place aux enfants ; ou plutôt leurs images. Suspendues à un fil, bougeant au grès du vent ; dix photographies de différents élèves, de plein pied ou en plan américain, reçoivent les aléas des intempéries et de l’invisible pollution.

© Stéphane Durand & Bruno Metra

Sur la bâche, une fine pellicule de colle dessine avec le temps, une végétation, un paysage grisonnant. Bruno Metra et Stéphane Durand, unis dans ce projet, ont en commun dans leur travail plastique, l’altération des images. Quand Metra déforme les visages de modèles au scotch (ID 1 & 2), Durand expose la surface blanche de la toile enduite de colle à l’espace public (série Nox Process). Ce procédé est ici contextualisé grâce aux photographies de Metra : une cour d’école, des enfants qui nous regardent.

© Stéphane Durand & Bruno Metra

Cour interdite est également présentée à la galerie Françoise Besson dans le cadre de l’exposition collective Des pouvoirs des écrans. Entre photographie et picturalité, le processus (motifs végétaux peints à la colle sur une surface exposée en extérieur) agît comme révélateur. Une révélation qui, analogue au processus photographique, implique la notion de temps. La durée d’exposition crée l’œuvre, tend à la rendre visible. Il aura ainsi fallu trois mois afin qu’apparaissent les fleurs et branches recouvrant les visages juvéniles. Les artistes emploient la pollution, matière invisible au même titre que la lumière, comme matériau. Une invisibilité inquiétante et néfaste, espace entre l’œil de l’artiste et celui de l’enfant, matérialisée sur la toile. Le fantôme d’une nature verdoyante condamnée à dépérir. La pollution révèle l’image comme celle-ci révèle la pollution. Ambivalence du processus, l’apparition végétale va venir « polluer » l’image source, la photographie. Le support rend tangible l’air qui nous entoure, tel un écran, une vitre sur laquelle on passe le doigt pour en enlever les poussières.

© Stéphane Durand & Bruno Metra

La trace, cet « ici et ailleurs » auquel Didi-Huberman fait référence dans Génie du Non Lieu, tend à insuffler du temps. La pollution, insidieuse, va lentement altérer la toile et les visages comme elle le fera sur l’organisme de ces enfants s’ils y sont exposés. Bruno Metra et Stéphane Durand ne tendent pas à dénoncer mais plutôt à rendre visible cette saturation de l’air indiscernable et omniprésente. Par leur geste, ils opèrent une mise à distance en exposant les photographies aux intempéries. Des poussières et plumes d’oiseaux parsèment la surface de colle devenue grise. L’environnement, le hasard, mènent l’œuvre à son terme.

Jusqu’au 15 octobre 2017, Cour interdite est visible dans l’espace de la galerie Françoise Besson puis le sera dans la cour de l’école Michel Servet jusqu’à début décembre 2017.

 

Emma Marion

 

Galerie Françoise Besson

10 rue de Crimée

Lyon 1er

Ouvert du mercredi ou samedi de 14h30 à 19h

& tous les jours sur rendez vous

 

École élémentaire Michel Servet

2 Rue Alsace Lorraine

Lyon 1er