Il n’est pas évident, en 2025, de monter l’archi-connu Cosi fan Tutte de Mozart. Le livret de de Da Ponte peut à bon droit être considéré comme relevant de la plus monstrueuse misogynie, et ce qui provoquait les rires masculins autosatisfaits au XVIIIe siècle passe difficilement (euphémisme) aujourd’hui. Qu’on en juge : mis au défi par leur maître Don Alfonso (Simone Del Savio) de tester la fidélité de leurs amoureuses, Guglielmo (Ilya Kutukhin) et Ferrando (Robert Lewis) les abandonnent en prétendant être appelés à l’armée, cela pour mieux revenir sous une fausse identité et entreprendre de séduire la compagne de l’autre. Et, de fait, après avoir vigoureusement rejeté les premières avances de leurs nouveaux soupirants, Fiordiligi (Tamara Banješević) et Dorabella (Deepa Johnny) commencent à sentir leurs cœurs vaciller. Elles sont d’autant plus enclines à briser leurs serments de fidélité qu’elles y sont encouragées par la pétulante Despina (Giula Scopelliti) qui leur conseille de donner la priorité au plaisir. Le faux retour de Guglielmo et Ferrando, alors que Fiordiligi et Dorabella viennent de signer un contrat de mariage avec leurs (faux) soupirants ; permet à Don Alfonso de prouver l’inconstance sentimentale des jeunes filles mais aussi de réconcilier les couples, qui savent désormais à quoi s’en tenir.
Bref, cosi fan tutte : « elles sont toutes comme ça », c’est-à-dire enclines à l’infidélité dès que l’être aimé s’éloigne. Oui mais, ajoute malicieusement la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole, cosi fan tutti aussi. Sa lecture de l’œuvre abandonne les évidences sexistes du male gaze pour mettre en cause le jeu pervers que les deux jeunes hommes ont accepté de jouer et qui les a finalement piégés. L’œuvre y gagne un certain rééquilibrage des points de vue féminins et masculins, cela d’autant plus que Fiordiligi et Dorabella ne sont plus d’innocentes vierges mais des étudiantes émancipées.
Dans le livret, Guglielmo et Ferrando sont les élèves du philosophe Don Alfonso. M.-E. Signeyrole développe cette situation pour faire de ses personnages des étudiant.e.s d’une école des Beaux-arts où se mènent des expériences de psychologie, dont les deux jeunes filles sont les cobayes involontaires et dont les résultats sont livrés au fil des scènes. Si cela n’élimine pas la misogynie intrinsèque à l’œuvre, la sensualité exacerbée de certaines scènes comme la présence d’amours plurielles oriente vers une autre lecture : plus qu’à un doute sur la fidélité, c’est à une ouverture des possibles amoureux qu’invite aujourd’hui ce Cosi.
Sur scène, le plaisir des interprètes est palpable, avec une mention spéciale pour Giula Scopelliti dont la Despina incarne sans doute le mieux la disponibilité aux joies de l’eros promue par la mise en scène. La direction de Duncan Ward s’efface peut-être un peu trop au profit des chanteurs et chanteuses mais n’en rend pas moins un hommage aussi respectueux que dynamique au génie mozartien. Pour résumer, une fin de saison brillante avant un été que l’on vous souhaite torride.
Carmen S.
Cosi fan tutte de Mozart à l’Opéra de Lyon du 14 au 24 juin

