Chroniques milanaises #3

Chroniques milanaises

Une série d’articles de Christophe Chigot, parti à la découverte des mouvements institutionnalistes en Italie. Comme en France, mais sûrement autrement, ces mouvements ont approché l’institution pour la déranger, la renverser, l’analyser avec ses protagonistes, en faire des objets politiques. Au programme, l’institution en négation de Basaglia et l’abolition de l’asile psychiatrique, le projet Olinda à Milan comme suite possible de l’abolition, Renato Curcio, l’institution totale, la prison, la socioanalyse narrative et bien d’autres pépites à se mettre dans la sandale.

Koursk

Lapassade, cette institution !

Plus connu que Platini et Zidane réunis après leurs passages à la Juve, Lapassade est, pour les mouvements institutionnalistes italiens, le Pape ! Bon c’est vrai, il a laissé de belles traces en France du côté de Vincennes, de l’Unef ou encore de Saint-Denis, MC Solar s’en souvient encore (1) mais en Italie, il a marqué les esprits. D’ailleurs, sous l’impulsion de Renato Curcio, qui a été fortement marqué par leur rencontre – nous en reparlerons – se tiendra début juillet une réunion en son hommage et à celui de Piero Fumarola, son compagnon de route italien.

Pour préparer cette rencontre, dont je vous ferai bien sûr un compte-rendu rigoureux ou presque, je me procure deux ouvrages :

  • Analyse institutionnelle et potentiel humain de Georges Lapassade.

(https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1977_num_40_1_2110_t1_0069_0000_2)

  • Psicosocianalisidi un nodo di interità, sulle tracce di Georges Lapassade e Pietro Fumarola de Rémi Hess.

(https://www.libreriasensibiliallefoglie.com/dettagli.asp?sid=9488124420180526084821&idp=308&categoria=)

« psychosocianalyse » d’une rencontre complète, pleine… pourrait-on dire…

Bien, je commence par cette espèce d’Attila de l’institution, ce chien qui cherche un jeu de quilles… J’ai nommé… Georges ! Et je m’attaque à une question a priori toute bête : mais qu’est-ce que l’institution ??

(1) Voir le film « Où passa Lapassade ? »

(là par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=byxD5Ygsm2o) de Rose Bouvet et Luc Blanchard où est notamment évoqué le laboratoire de recherche action sur le mouvement naissant du hip-hop à l’Université de Saint-Denis.

Cette expérience donnera notamment lieu à cet ouvrage : Le Rap ou la fureur de dire

https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1997_num_126_4_3554

Eh bien voilà ce que je trouve : dans le langage courant, l’institution est un établissement plutôt important, plutôt public, avec un fâcheux penchant totalitaire. C’est là une première définition de l’institution dans laquelle nous allons pouvoir ranger les hôpitaux, l’armée, les centres d’hébergement, les établissements sociaux, éducatifs, socio-éducatifs, la prison, l’asile psychiatrique ainsi que l’école. Dans ce registre, l’institution est un gros machin difficile à bouger, lourd. Engluant, insaisissable parce qu’informe ou au contraire rigide, ferme, emmuré et emmurant. C’est l’institution qui s’empare des corps, les contraint, les tient. C’est l’institution qui ‟objeïfie” les sujets, qui fait de nous des numéros, qui bureaucratise.

Koursk

Pour Georges, cette institution ne vaut rien, il la laisse aux sociologues de l’organisation ; d’autres terrains de jeux sont plus amusants.

Eh oui, car l’institution peut également être abordée par son côté obscur, celui des coulisses, de ce qui fait qu’elle tient debout : non-dit, autorités qui font réellement hiérarchies, mythes fondateurs (et donc falsification du réel afin de le faire durer), habitudes, manières de faire et autres effets de langage qui permettent de tenir. Cette définition permet d’entrer dans la finesse du réel, d’apercevoir, derrière l’organisation disciplinaire, les jeux de pouvoirs, la norme et les magouilles pour la contourner, elle permet d’apercevoir la société de contrôle et d’autocontrôle qui fait exister l’existant, qui fait persévérer la société dans son être, comme dirait Spinoza.

C’est aussi l’institution comme une croyance collective. Nous pensons que le dollar, que Peugeot, que l’État français existent et c’est ce qui leur permet de perdurer réellement. Imaginez si nous n’y croyons plus… comme certains réunis au Jeu de Paume qui se sont dit que cette histoire de roi divin était une vaste plaisanterie et qui ont mis fin à des siècles de royauté. Là, donc, on commence à se divertir !

Et puis, une troisième approche est possible, un peu comme un autre monde. Une approche, disons, plus dynamique. Elle envisage l’institution comme un ensemble de forces, de rapports de forces sociales qui discutent ou s’affrontent à l’intérieur d’un établissement, d’une forme sociale. Ces forces sociales représentent des volontés, des demandes, des désirs qui traversent les protagonistes de l’institution. Elles peuvent être, par exemple, « instituantes », demandant du changement, demandant à l’institution de s’actualiser, de prendre en compte les nouveaux et les nouveautés, demandant d’abolir les vieilles pratiques, coutumes et autres habitudes car caduques. Elles peuvent être au contraire instituées, conservatrices, demandant de préserver ce qui semble fonctionner, de garder des points d’appui, de s’appuyer sur l’expérience, de perdurer, de tenir. Et puis, pour ceux qui aiment marcher sur trois pattes, qui se régalent de dialectique, qui swinguent du côté ternaire, il est possible d’envisager un troisième type de forces en mouvement : l’institutionnalisation, le processus qui fait qu’une nouveauté s’installe, prend place, fait forme après avoir déformé le contenant.

Prenons, par exemple, l’institution psychiatrique en Italie. Bien. Dans une première version, nous pourrions la décrire du point de vue de son organisation. Ainsi, un peu comme dans la deuxième chronique (lien avec la deuxième), nous pourrions la comprendre par ses dispositifs, structures et autres procédures prévues. Mais sans doute plus réel, et en tout cas plus intéressant, serait de comprendre comment cette institution fonctionne concrètement.

Repose-t-elle finalement beaucoup sur les familles des malades ? Ou bien sont-ce les éducs qui ont tout le pouvoir ? Les procédures créent-elles tellement de complications qui font que ça se passe ailleurs ? Et puis, où ça en est tout ça ? La grande « révolution Basaglienne » qui a complètement renversée l’Ancien Régime a-t-elle donné lieu à un système figé ? À une organisation qui ne tient plus compte des réalités actuelles qui ont forcément évoluées ? Les acteurs de la psychiatrie ne se sont-ils pas installés dans une routine qui les empêche de se remettre en question, d’imaginer de nouvelles formes ?

Bienvenue en Analyse Institutionnelle ! (2)

Christophe Chigot

Avec le soutien intransigeant de Bénédicte Geslin.

Dessins de Koursk

(2) Plusieurs structures interviennent aujourd’hui en référence à l’analyse institutionnelle, en voici une : https://www.lameandre.net