C’est quoi le problème, avec l’art contemporain ?

C’est quoi le problème, avec l’art contemporain ?

Tout comme l’écologie, qui regroupe un certain nombre de pratiques, encadrées par le politique, l’art contemporain n’est pas exempt de la question de la lutte des classes. Publics ou privés, les décisionnaires et/ou ceux qui achètent sont formatés, souvent, par leur culture bourgeoise. Qui dit culture bourgeoise, dit culture dominante. Haut fonctionnaire au ministère de la Culture ou magnat industriel collectionneur, tous soutiennent un certain type d’art. L’histoire est vielle comme l’art : les monarques et les riches marchands, durant des siècles, avaient le pouvoir de dire ce qui fait art, et ce qui n’est pas acceptable.

La fin du XIXe siècle a fait école sur la question. Nos musées français sont remplis de sculptures en bronze, en marbre, de peintures de scènes mythologiques, car c’était le bon goût de la bourgeoisie, qui en a acheté plein. Reste que l’avant-garde était là. La critique, l’Histoire de l’art, par conséquent, ont remis à leur (pauvre) place ces œuvres décoratives et la reconnaissance des Impressionnistes fut.  Naquit le mythe de l’artiste maudit, Van Gogh, qui ne vendit qu’un tableau de son vivant. Au début de XXe siècle, l’avant-garde a changé la donne.

Ensuite, tout s’est emballé. L’art contemporain est devenu un produit financier. Warhol, le plus américain de tous, a posé les jalons de la dérive. C’était inévitable, les riches industriels, les banquiers avaient tout intérêt à transformer l’œuvre d’art en produit spéculatif. Cependant, on peut se demander si les institutions, qui gèrent les expositions et achètent des œuvres avec l’argent de l’impôt, doivent jouer ce jeu là. Les galeries sont privées, elles font bien ce qu’elles veulent, tandis que les FRAC et le FNAC sont financés par notre argent. Faudrait-il davantage de transparence, lutter contre la cooptation, briser cette monarchie culturelle ?

Heureusement, quelquefois l’institution et certains collectionneurs voient juste. Reste la masse du reste…

L’art contemporain, depuis les années 90, a connu une explosion des courants. La pratique, comme les propositions, sont devenues tentaculaires, rhizomiques comme auraient pu le définir Deleuze/Guettari.

Donc, nous avons cette chance, en France, aujourd’hui, d’être visibles en tant qu’artistes, sans être un produit financier, ni un néo-académique.

Hermétique à l’art contemporain français, êtes-vous responsable ?

Suite à un tel constat, vous pourriez me dire : « mais pourquoi, alors, vouloir encore être artiste et s’intéresser à l’art contemporain ? » D’abord, je préfère parler d’art actuel, comme le fait Fred Forest. Art contemporain est trop connoté art financier. La réponse est celle-ci : j’ai (nous, Romuald&PJ) sommes peut-être l’avant-garde de ce début de XXIe siècle. Plus modestement, je dirais qu’il est possible que notre proposition soit supérieure à pas mal d’œuvres qu’on voit dans les galeries commerciales, les centres d’art subventionnés ou les musées publics. Nous bénéficions d’une certaine reconnaissance et nous plier aux codes de ce que l’institution ou le marché attend, c’est non. Après cette parenthèse autobiographique, je reviens à la question.

On reproche à l’art contemporain d’être trop intellectuel, laid, cher. Les trois critiques sont vraies, désolé.

Trop intellectuel, oui, mais parfois une œuvre conceptuelle peut-être signifiante. Reste à ne pas prendre le spectateur pour un gogo. Quand il faut trente pages d’explications pour justifier un énième tas d’ordures dans une white cube, c’est juste plus possible. Il faut rappeler que nous parlons ici d’arts visuels, pas de littérature, pas de philosophie. Cet art est largement appuyé par les institutions françaises, ce que j’appelle « le nouvel académisme français ». Je parlerai du cas Buren plus tard.

Laid. Beaucoup d’œuvres, pour pas mal de gens, sont moches. Soit, mais si l’émotion et le signifiant sont au rendez-vous, pas de problème. Elisabeth Couturier, critique d’art, reconnaît elle-même que la beauté « n’est pas ce qu’on attend en priorité » dans le milieu. Vous trouvez peut-être son œuvre « belle » par sa maîtrise de la peinture, mais « quand Courbet a peint Un enterrement à Ornans, un tel réalisme était considéré comme ce qu’il y avait de plus laid », explique Elisabeth Couturier. « On pensait que l’art devait transcender la réalité ». Donc, la réponse au moche, c’est la signifiance. Je ne citerai pas ici les artistes qui font du moche sans signifiance mais ça existe, soyez vigilants !

L’art financier, comme son nom l’indique, est cher, de plus en plus cher, et de plus en plus cher. Soit. En réalité, la valeur d’une œuvre est tout autre, je connais grand nombre d’artistes, dont le travail est de grande qualité, qui vendent à des prix abordables. Le multiple est aussi un bon compromis. On peut avoir des œuvres de Mounir Fatmi, Larry Clark, Nan Goldin ou les Frères Chapman sans se ruiner.

Bon, tristement, en France, on a des artistes qui font du moche et cher, sans grande signifiance.

Buren, pour moi, concentre toutes les critiques. Que de littérature faut-il pour justifier une vie à faire des rayures. Dans l’espace public, c’est totalement invasif. J’ai l’impression de voir des stations Total partout et je trouve ça moche. Et c’est très cher. Mitterrand et Jack Lang avaient porté leur attention sur lui, et pas sur Parmentier, et pas sur Mosset (BMP) (1) et nous en subissons encore les conséquences. Voici un problème très franco-français : l’omniprésence d’artistes qui sont des fonctionnaires de l’art, grassement rémunérés. C’est d’ailleurs l’ambition de certains anciens des beaux-arts, qui n’y parviennent jamais, tout en continuant à faire ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux. Heureusement, d’autres trouvent les voies de traverse, s’épanouissent, vivent de leur travail, ou pas, mais s’épanouissent dans leur pratique.

Que faire ?

L’exception culturelle française a du plomb dans l’aile. Quant au marché, tant que les gouvernants ne se décideront pas à réguler, ça continuera à être n’importe quoi. C’est vrai pour toute l’économie, pas seulement pour le marché de l’art. L’Etat français ne régule pas le marché, il subventionne. C’est ça l’exception culturelle française. Qui et pourquoi ? En tant que citoyen, circulez, y’a rien à voir. Le problème est là. On voit se multiplier des consultations citoyennes, sur la mise en place de bacs de compost, piétonisations et changements du nom des rues, sur les potagers partagés. Et l’art ? Je ne citerai pas son nom, mais un ancien adjoint municipal à la culture de Lyon est venu acheter une œuvre dans la galerie que nous tenions, et a acheté une œuvre pour la ville (1500 euros), comme ça, comme des poireaux au marché de la Croix-rousse. Est-ce normal ? D’autant plus que nous étions en période d’élection municipale. Et qu’est devenue cette œuvre, de notre ami Miguel Angel Concepcion, artiste brillant andalou ? Nous n’en savons rien. Il faut revoir, entièrement la politique d’achat public.

Et le statut de l’artiste ? En France, déjà, on a un statut. Ce n’est pas si mal, ailleurs, non. Mais est-ce que ce statut est adapté, juste ? Voici un constat, et des éléments de réponse.

La Maison des Artistes était tellement incompétente que l’URSSAF a récupéré sa gestion, depuis 2019. Bon, ça, c’est fait. A présent, quand vous envoyez un mail aux gestionnaires de la MDA, ils répondent. Dans la bascule beaucoup d’artistes ont disparu, pour diverses raisons. Etant artiste, si vous voulez vendre légalement, il faut être affilié à La Maison des Artistes (le taux de cotisations sociales est de 16,20 % du bénéfice artistique majoré de 15%). La plupart ne gagnent pas assez et ont souvent un job alimentaire, pour lequel ils cotisent également. Donc, la majorité cotise deux fois ! Pour d’autres, une minorité, sont ceux qui bénéficient des prestations sociales, artiste est leur activité principale. L’injustice est là : tous cotisent, seuls quelques uns bénéficient du régime de protection sociale de la MDA. Encore un système qui bénéficie aux plus riches. En gros, je paye la couverture sociale de Daniel Buren.

Qu’est-ce que ça implique, être artiste plasticien français ?

Soyons francs, je jalouse Fabrice Hyber ou Claude Lévêque et leur cheptel d’assistants. Le métier d’artiste, c’est créer des œuvres. Mais quel est le temps disponible pour cette noble activité ? Tout le travail connexe est énorme, les gens ne se rendent pas compte. D’abord, la paperasse numérique : constitution de dossiers (réponse à appel à projet, à appel à résidence, proposition d’achat pour le public ou le privé, gestion pure pour la MDA, facturations). Ensuite viennent la communication (création de visuels, réseaux sociaux), le stockage, la restauration, la conservation, l’emballage, le déplacement (en voiture, en camion, en train, en métro, en bus, en avion) des œuvres, et une partie plus agréable : le montage d’expositions. De plus, il faut être mondain, se montrer aux vernissages, aux conférences. En prime, si j’ose dire, comme le dit Orlan dans sa bio, quand les galeries veulent bien vous rendre les œuvres invendues après l’expo, faut être content.

Pourquoi faire ce constat ? Et bien, pour les que gens, les spectateurs comprennent ce qu’est cet étrange métier d’artiste. A cela s’ajoute, le plus souvent, la non-rémunération. Une grille a été conçue par l’Association française de développement des Centres d’art contemporains (DCA) (2), comme d’autres (la Fédération des Arts plastiques), où on est censé toucher 1000 euros pour un exposition personnelle (le réseau des arts visuels du centre-Val de Loire dit 1500), 150 euros pour une collective. Ce que les artistes touchent, la plupart du temps : quetsche ! Pourquoi ? Parce que le rapport de force est du coté les institutions : « Sois content déjà, on t’expose, c’est bon pour ta visibilité ! » Reste que ces mêmes lieux, qui ne paient pas, ne seraient rien sans les artistes visuels.

Une proposition de loi (3), qui s’appuie sur la charte du ministère de la Culture (charte DCA citée ci-dessus), est sortie le 11 janvier 2022. Mesdames, Messieurs les députés, on attend, mais c’est long.

Romuald&PJ

 

  1. BMP : au départ, Buren, Mosset et Parmentier formaient un collectif d’artistes
  2. https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Arts-plastiques/Actualites/La-remuneration-du-droit-de-presentation-publique 
  3. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4880_proposition-loi