Les Castagnettes de Carmen # 38
Candide à l’Opéra de Lyon du 16 décembre au 1er janvier
Fausse légèreté, ou plus exactement fausse candeur, en cette fin d’année à l’Opéra de Lyon, lequel nous propose le Candide de Leonard Bernstein. Le conte philosophique de Voltaire était déjà suffisamment grinçant, qui stigmatisait les affres de l’obscurantisme et de l’absolutisme du XVIIIe siècle. Sa révision par Bernstein procède par transpositions, dont certaines ont un écho très contemporain. Il est sans doute significatif, de ce point de vue, que l’auteur en ait proposé plusieurs révisions de sa création en 1956 à la dernière version, publiée en 1989.
L’idée d’adapter le récit de Voltaire pour l’opéra — ou plus exactement pour en faire une comic operatta — vient de Lillian Hellman, scénariste étatsunienne aux fermes engagements de gauche qui eut, dans les années 1950, à souffrir de la chasse aux sorcières menée par le très réactionnaire sénateur McCarthy.
La scène qui voit Candide (Paul Appleby) et Pangloss (Derek Walton) condamnés par le tribunal de l’inquisition avait une signification très vive au moment de la création, et ne pouvait être accueillie que comme une dénonciation de l’ignoble censure alors exercée par la droite américaine.
La chanson de Pangloss, racontant comment Paquette lui a transmis une vérole qu’elle tenait elle-même d’un navigateur écossais (qui, lui-même, etc., etc.), anticipait sans le savoir la crise du sida et prend un relief inattendu en ces temps de pandémie. Quant aux sévices subis par Cunégonde (Sharleen Joynt) et la vieille dame (Tichina Vaughn), ils sont hélas intemporels : viol, prostitution, esclavage, mutilations… Le duo entre Maximilien (Sean Michael Plumb) et le Gouverneur (Peter Hoare) prend quant à lui une tonalité queer sans doute plus indécise au moment de l’écriture, mais que la mise en scène relève avec malice.
Cette mise en scène, de Daniel Fish, prend des risques, notamment par le dépouillement du décor (quelques chaises, une grande barre mobile, un gigantesque ballon transparent…) mais sait renforcer l’humour du propos (le geyser de mousse, lorsque Pangloss évoque sa contamination, laisse rêveur).
L’œuvre est, il est vrai, composée d’une succession de tableaux et le fil narratif est si mince que toute reconstitution d’un contexte précis aurait été dépourvu de sens. Annie B. Parson a créé une chorégraphie discrète mais qui occupe l’espace scénique juste ce qu’il faut pour prévenir tout ennui.
La direction de Wayne Marshall restitue le soyeux de la musique de Bernstein, sur laquelle se dépose élégamment toute la noire ironie des paroles chantées. Bref, au moins le temps de la représentation, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Carmen S.
© B. Stofleth
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