[Bring The NoiZe : une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des musiques, des groupes et leurs disques, c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même]

 

 

Sheik Anorak_Let's Just Bullshit Our Way Through_CDCommençons par l’un de mes disques préférés de ce début d’année : Let’s Just Bullshit Our Way Through est le nouvel album de Franck Gaffer alias Sheik Anorak, publié comme il se doit sur Gaffer records, le propre label de l’intéressé. J’admets que j’ai déjà abondamment parlé du bonhomme par ici – et évidemment qu’en bien – mais, que voulez-vous, je n’ai pas vraiment le choix tellement son parcours est aussi passionnant qu’exemplaire. Rien que ça… voilà une chronique qui commence bien. Let’s Just Bullshit Our Way Through est un album purement solo (la précision est d’importance puisque Franck se sert également de ce nom là pour exercer ses talents d’improvisateur aux côtés de musiciens tels que Colin Webster, Mario Rechtern ou Weasel Walter) donc il s’agit du versant « pop » de sa musique. Le précédent album Keep Your Hands Low avait déjà fait des merveilles mais Let’s Just Bullshit Our Way Through va beaucoup plus loin dans la subtilité de l’écriture et la finesse des émotions. Techniquement, la démarche de Sheik anorak a également quelque peu changé puisque aux habituelles boucles de guitare, il privilégie cette fois l’utilisation d’un laptop, ce qui lui permet de diversifier les sonorités utilisées, voire de se passer presque complètement de guitare à certains moments. Le résultat est une (trop) courte collection de sept compositions où le chant prédomine de plus en plus, où la lumière et la mélancolie s’entrecroisent avec une grâce certaine et je dois admettre que l’écoute de Let’s Just Bullshit Our Way Through me procure toujours un sentiment d’émerveillement discret mais aussi – allez, j’ose – de plénitude apaisée. Je veux bien en reparler dans quelques années mais pour l’instant Let’s Just Bullshit Our Way Through est une sorte de disque de chevet, à écouter en solitaire et qui pourtant donne ce sentiment diffus de quelque chose de beaucoup plus grand. A noter que ce disque n’existe qu’en CD et en format digital – via Atypeek – mais qu’une publication en vinyle serait elle parfaitement justifiée.

 

Sheik Anorak_Or_12'Pop, j’ai dit pop ? Comme pour me faire mentir Sheik Anorak a publié, précédemment à Let’s Just Bullshit Our Way Through et via le label Poutrage records, ce qui constitue surement son disque le plus radical : Or est un vinyle monoface transparent (complètement translucide ou rouge selon les tirages) doté d’un seul et même titre aussi répétitif que strident. Hommage flagrant à Mick Barr et à son groupe Orthrelm et en particulier à l’album Ov, Or est une composition radicale que Sheik Anorak joue en concert depuis maintenant quelques années et qu’il n’avait encore jamais osé mettre sur bandes. J’ai toujours pensé que l’exercice de l’enregistrement serait inutile dans le cas présent tant Or est un intense moment live de transe acharnée et bruitiste. Pourtant cela fonctionne également parfaitement sur disque – un disque qu’il faut bien sûr écouter vraiment très très fort – et Or donne à entendre une définition possible et intéressante de ce que peut être la musique expérimentale à base de guitare. A force de répétitions et d’accumulations, Or installe un climat anxiogène délimité par une batterie circulaire où chaque coup de cymbale sonne comme un coup de poignard. L’effet est saisissant et devient complètement affolant lorsque, après la quatorzième minute, un bref silence s’installe puis que Or repart dans une direction judicieusement oblique qui provoque l’explosion. Une vive lumière rentre dans le jeu et tout prend alors une autre dimension, faisant la démonstration – s’il en fallait vraiment une – que le bruit, aussi intense soit-il, peut également être générateur de beauté et de libération.

 

Totale Eclipse_92_LPPour finir, je ne peux pas résister à la tentation d’une chronique de 92, le tout premier et très attendu album de Totale Eclipse. On retrouve encore une fois ici Sheik Anorak, uniquement derrière la batterie et au chant, lequel a rejoint Nico Poisson (de Ned et Sathönay) à la guitare et au chant ainsi que Seb Radix (de plein de trucs y compris de lui-même) à la basse et également au chant, après la fin prématurée de The Rubiks. Les deux groupes ont évidemment des points communs – pour faire vite, la déconnade assumée et un talent certain pour passer musicalement du coq à l’âne – et c’est donc assez logiquement que l’on retrouve chez Totale Eclipse des tentations progressives pourtant loin d’être dégueulasses et repoussantes, mélangées à des plans hard rock, grunge et punk voire pop (oui, encore une fois). Il paraitrait que les mélanges donnent toujours mal à la tête, or avec Totale Eclipse c’est tout l’inverse qui se produit, le groupe se permettant une liberté de langage qui n’appartient qu’à lui et qui surtout se moque des a priori. La jubilation est presque totale (sic) et on ne s’étonne jamais, malgré l’incongruité et la diversité des ingrédients proposés, que les compositions de 92 coulent de source avec une telle facilité. Voilà un disque qui me donnerait presque envie de danser, tiens.
Pour les curieux je précise également que l’artwork assez spécial du disque a été réalisé par Seb Radix en personne, que 92 s’intitule ainsi parce qu’il s’agit de l’année de parution de beaucoup de disques favoris des membres de Totale Eclipse et, enfin, que ce LP a été publié avec l’aide d’une tripotée de labels qui n’ont peur de rien : Amor Komma, Boom Boom Rikordz, Day Off, Rejuvenation, Rock’n’roll Masturbation et S.K. recordsdo it yourself mais surtout do it together.

Hazam.