Les texticules de Pedro n° 17

Manuel Valls : aucune excuse

Il est possible de livrer une analyse sociologique du parcours et des prises de positions de Manuel Valls. Pour autant, aucune « excuse sociologique » ne pourra lui être trouvée pour sa politique impardonnable.

 

Formulée une première fois en France par Lionel Jospin lorsqu’il était premier ministre, l’idée que la sociologie « excuserait » des comportements injustifiables comme la délinquance a connu une nouvelle diffusion après les récents attentats djihadistes. Solidaire d’une pensée de sous-lieutenant pour laquelle « expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser », l’analyse sociologique est incriminée en ce qu’elle dédouanerait les individus de la responsabilité de leurs actes. En montrant comment les conduites individuelles sont façonnées par le monde social, la sociologie dissoudrait l’idée-même de choix alors que, c’est bien connu, tout un chacun a le choix de devenir ministre, patron du CAC40, intellectuel médiatique ou petit dealer du bas des tours, pute nigériane dans sa camionnette ou réfugié expulsé de la jungle de Calais. Quand on veut, on peut.

C’est d’abord pour réfuter les attaques de Philippe Val dans son pamphlet contre le « sociologisme » que Bernard Lahire a écrit son récent ouvrage Pour la sociologie, dans lequel il rappelle avec force que les sciences sociales ont pour mission de comprendre mais pas de juger. Elles se doivent de reconstituer les déterminations et les logiques de l’action humaine mais pas de décider si cette action est bonne ou mauvaise — tâche qui incombe à la politique, à la morale ou à la justice. Certes, la sociologie recèle une charge critique lorsqu’elle met au jour certaines inégalités (devant la réussite scolaire en regard de l’origine sociale par exemple) ou l’incapacité de certaines institutions à respecter leurs propres principes (comme lorsqu’elle montre qu’une justice officiellement indifférente aux conditions sociales est tendanciellement plus sévère envers les pauvres qu’envers les puissants). Mais, là encore, les conséquences politiques à tirer de ces constats ne relèvent pas de son domaine.

LAHIRE

Lahire et son éditeur ne pouvaient rêver de meilleure promotion que celle que leur a offert l’actuel premier ministre qui, au moment précis où sortait Pour la sociologie, s’en est pris à son tour à « ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques » aux attentats de novembre. Pour imbécile qu’elle soit, la sortie de Manuel Valls a une logique : celle de la priorité donnée à la gestion policière des troubles actuels, solidaire d’une conception du monde basée sur l’alternative docilité ou matraque. Elle a aussi un mérite, celle de démontrer l’ignorance crasse du premier ministre en matière de sciences sociales.

Soyons pédagogue. Le meilleur moyen de démontrer à Manuel Valls que la sociologie ne relève en rien d’une « culture de l’excuse » est sans doute d’appliquer ses outils d’analyse à son propre cas, à partir des éléments fournis par wikipédia.

La sociologie tient l’origine sociale, mesurée à la profession des parents, pour une variable déterminante. Manuel Valls est né dans un milieu riche tant économiquement que culturellement : son grand-père était banquier, son père artiste peintre, sa mère est la sœur d’un architecte reconnu, son parrain est un écrivain, etc. Un tel environnement culturel aurait dû prédisposer le jeune Valls à des études brillantes mais tel n’est pas le cas : c’est seulement à 24 ans qu’il obtient une licence d’histoire à la Sorbonne alors qu’avec un rythme d’études normal il aurait dû l’obtenir trois ans plus tôt. C’est que le jeune Manuel a d’autres occupations : il milite au syndicat étudiant l’UNEF-ID et devient administrateur de la MNEF. Sans doute a-t-on identifié la source de l’inculture du futur premier ministre : il n’a pas le temps d’aller en cours, tout à s’investir dans la gestion — que l’on qualifiera pudiquement de pénalement discutable — de la mutuelle étudiante.

La trajectoire du jeune Valls n’est en rien originale et ne démontre aucun talent singulier ; son parcours est celui, ultra-classique, d’une flopée d’apparatchiks socialistes de sa génération à qui les ressources accumulées à l’UNEF et à la MNEF permettent de se placer politiquement et de progresser dans la carrière partisane. Il est ainsi successivement attaché parlementaire, responsable de Fédération PS, conseiller régional, membre de cabinet ministériel, délégué interministériel, secrétaire national du PS, maire, député, ministre de l’Intérieur, premier ministre. De fait, Manuel Valls n’a jamais occupé d’emploi sur le marché du travail normal. Il a toujours été ce que le sociologue Max Weber appelait un professionnel de la politique, vivant d’elle et pour elle, qui a eu accès aux opportunités du monde partisan pour se consacrer à plein temps à sa carrière mais n’a jamais eu à se coltiner les difficultés quotidiennes de ses concitoyen.ne.s. Ce faisant, il est le représentant exemplaire — aucun trait singulier ici encore, il n’est que le produit impersonnel d’une logique structurelle — du cloisonnement du champ politique, que Pierre Bourdieu décrivait comme une petit univers au recrutement homogène, fermé sur lui-même, focalisé sur ses enjeux propres et hermétiquement sourd aux attentes et aux besoins de ceux et celles qui le font exister par leurs votes.

MAX WEBER

Comme un poisson dans l’eau dans ce monde des partis politiques qui est le seul qu’il ait jamais connu, Manuel Valls ne peut qu’en reproduire comme mécaniquement la logique et le mode de fonctionnement. Aucune créativité chez lui, juste la reproduction de modes sclérosés de penser et d’agir, désormais devenus transversaux à la droite comme à la gauche de gouvernement. D’où cet asservissement systématique au MEDEF, ces postures vindicatives de coups de menton virils, ce mépris souverain des catégories sociales les plus modestes, ce pilotage au gré des sondages d’opinion, ce registre de surenchère qui légitime les positions du FN au prétexte de le combattre (1) — la liste serait encore longue des actes de Manuel Valls qui démontrent son statut d’agent impersonnel d’un champ politique devenu autiste à force d’autonomie à l’égard du monde social.

On espère l’avoir montré : la carrière et les positions politiques de Manuel Valls sont redevables d’une analyse sociologique. Mais, le jour venu, il n’y aura aucune excuse.

 

Pedro

 

  1. On remarquera que cette liste pourrait aussi bien s’appliquer à Nicolas Sarkozy dont Valls n’offre qu’un copier-coller.