Les Castagnettes de Carmen # 50
Wozzeck d’Alban Berg à l’Opéra de Lyon
Foin des héros mythologiques, des rois, princesses et autres aristos qui peuplent la tradition opératique. Wozzeck, le héros d’Alban Berg, est un homme des plus ordinaires, voire même un peu moins. La pauvreté, qu’il partage avec sa compagne Marie et son fils, l’accule à se prêter contre rémunération aux dangereuses expériences scientifiques imaginées par un conglomérat d’incarnations du pouvoir : un médecin, un officier, un prêtre et un ministre. Wozzeck maintient tant bien que mal le peu d’autonomie qui lui reste mais les effets hallucinatoires du traitement, les intimidations du médecin ou encore les soupçons d’une infidélité de Marie se font de plus en plus oppressants, jusqu’à un dénouement dramatique.
Autant dire que l’Opéra de Lyon ne mise pas sur la facilité pour l’ouverture de sa nouvelle saison. Non seulement le livret est des plus sombres mais la partition d’Alban Berg, représentant de l’école de Vienne fondée par Schonberg, est particulièrement exigeante, tant dans son exécution que dans sa réception. On se doit par conséquent d’applaudir la direction de Daniele Rustioni, sans doute plus à l’aise dans un répertoire plus respectueux de la tonalité. On se doit aussi de saluer les performances des différents interprètes, et spécialement celle, dans le rôle-titre, de Stéphane Degout — qui sait, sans excès de pathos, exprimer toute la détresse de Wozzeck face à un monde hostile — et celle, saisissante dans la scène de la femme adultère, de Ambur Braid (Marie).
Le décor est astucieux, qui fait glisser l’humble logement de Wozzeck et Marie à l’intérieur de celui, aseptisé, du laboratoire où le médecin et ses complices mènent leurs expérimentations criminelles. Descendant des cintres, un énorme éclairage figure la caméra que Berg — déjà en 1925 ! — avait imaginée suivre chacun des actes de ce cobaye humain qu’est devenu Wozzeck.
Il est toujours tentant de faire de Wozzeck un conte de science-fiction. Transposer l’intrigue dans un lointain futur serait toutefois faire perdre à l’œuvre sa dimension incisive, tout aussi pertinente au moment de sa création qu’aujourd’hui. C’est ce qu’a bien compris Richard Brunel qui signe une mise en scène ancrée dans une temporalité indécise mais néanmoins proche. Les pouvoirs qui asservissent Wozzeck et la vaine résistance qu’il leur oppose jusqu’à sa chute finale restent plus que jamais d’actualité. Le rappeler ne conduit certes guère à l’optimisme, mais cette lecture acérée de l’œuvre s’impose comme une des expériences les plus marquantes que nous ait proposé ces dernières années l’Opéra de Lyon.
Carmen S.
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