Les Castagnettes de Carmen – # 14
Viva la mamma ! à l’Opéra de Lyon du 22 juin au 8 juillet
Viva la mamma ! de Donizetti, c’est un peu La Nuit américaine de François Truffaut, ce film qui raconte le tournage d’un film. Ici, c’est la laborieuse — et finalement vaine — tentative de monter un opéra qui fournit la matière de l’intrigue. Le compositeur et chef d’orchestre Biscroma (Pietro di Blanco) et le librettiste Cesare (Enric Martinez-Castignani) tentent de faire répéter une troupe où la concurrence des égos le dispute aux ressentiments aigres et aux vanités blessées. La rivalité est rude, spécialement, entre la prima donna Daria (Patrizia Ciofi) — amoureusement supportée par son époux Procolo (Charles Rice) — et la seconda donna Luigia (Clara Meloni) défendue bec et ongle par sa mère Agata — la fameuse mamma du titre.
Tout le monde se dispute à coups d’airs joliment troussés par Donizetti. Librettiste et compositeur font assaut de lâcheté face aux chanteurs mégalos, le ténor allemand au nom imprononçable (Enca Scala) réclame sa grande scène avec trompettes, le contre-alto (Katherine Aitken) se plaint de ne jouer que les utilités et finit par s’enfuir. Qu’à cela ne tienne : Mamma Agata propose rien moins que de le remplacer. Et comme celle-ci dispose la stature intimidante de Laurent Naouri, Cesare et Biscroma n’ont d’autre choix que d’accepter.
Faire jouer un rôle de femme par un homme, le gag est éculé. Ici, il fonctionne encore, d’une part du fait de la transposition vocale de la substitution des rôles : passer du contralto (joué, donc, par une femme) au baryton (le rôle est même prévu pour une basse) produit un inexorable effet comique. Ensuite et surtout car la surenchère de la mise en scène pousse le loufoque à son maximum. L’avant-dernière scène qui voit Naouri en perruque rousse et robe informe chanter (faux) des absurdités en tentant d’échapper aux mains baladeuses du souffleur n’est pas loin de rappeler les Monty Python dans leurs meilleurs rôles féminins.
Mais Viva la mamma ! n’est pas qu’une bouffonnerie. Toute loufoque qu’elle soit, l’œuvre recèle de vrais beaux moments de musique, qu’il s’agisse de l’ouverture au dynamisme bien servi par la direction de Lorenzo Viotti ou des airs qui offrent aux interprètes l’opportunité de démontrer qu’ils valent bien mieux que leur rôle. Une mention spéciale, à ce titre, à Clara Meloni dont la prestation d’opéra dans l’opéra offre une bouffée de sensibilité dans le comique prédominant.
Mise en scène et décor contribuent de leur côté à instiller une dose bienvenue de distance mélancolique dans toute cette loufoquerie. Le décor sur lequel s’ouvre Viva la mamma ! — un parking souterrain laissant subsister les restes d‘un vieux théâtre à l’italienne — rappellera aux Lyonnais.e.s le triste sort de l’Eldorado, cette salle de spectacle au charme désuet que les projets gentrifieurs de la mairie et les appétits des spéculateurs immobiliers ont transformée en supermarché. Pas certain cependant que cet « esprit de troupe » querelleur et ses rivalités mesquines appartiennent à un passé totalement révolu du monde de l’art…
Bref, c’est une fin de saison réjouissante que propose l’Opéra de Lyon (à signaler que l’œuvre fera l’objet d’une retransmission gratuite en direct le 8 juillet, à Lyon au théâtre antique de Fourvière) — avec à la clé l’exploit de réserver une ovation finale à Laurent Naouri pour le talent qu’il met à… chanter faux.
Carmen S.
© Stofleth