Too Old to Die Young
Chronique
Nicolas Winding Refn ne fait rien comme tout le monde. Le réalisateur danois, auteur de plusieurs longs métrages dont Drive et Only Gods Forgive (2011, 2013, les deux avec le sémillant mais non moins séduisant et talentueux Ryan Gosling) qui l’ont fait connaître du grand public, s’est tourné en 2018 vers la télévision et ses nouvelles terres promises, les séries.
Déjà adepte des chemins de traverse pour arpenter la planète cinéma avec son Guerrier silencieux (Valhalla Rising), qui plongea en son temps (2009) les spectateurs dans un océan de doute avant que ces derniers ne comprennent qu’ils n’auraient pas leur lot de confort habituel — une introduction, une histoire, une intrigue et tout ce qu’il faut pour suivre l’affaire et surtout bien comprendre — N.W.Refn a visiblement décidé de dynamiter
les ronrons de la série, et ce, à grands coups de pétard de mise en scène, de filmage, de photo et de scénario. Autant tout faire péter quand il s’agit de créer et finalement être quelqu’un qui restera dans les annales semble s’être dit Refn avant d’attaquer cette mini série dont la lecture du synopsis vous dirait de la ranger sur l’étagère marquée policier. On verra que l’étiquette sur l’étagère devra être agrandie car ce seul genre ne saurait suffire à classer la dite chose.
Nous voici donc à Los Angeles, de nuit, pendant la ronde de deux policiers en patrouille. Alors que l’un deux se prend en selfie pour envoyer des nouvelles à sa fiancée, il se fait descendre par un tireur sorti de nulle part. Son collègue tente de riposter mais l’assassin disparaît dans la nuit. Début standard se dit-on. Oui certes, la chose n’est pas nouvelle et l’on se dit encore : voyons voir, car il y a quelque chose dans l’atmosphère, l’image, le cadrage, un truc un peu indicible mais qui fonctionne et retient le doigt sur le zappeur. Très vite, c’est l’étrange personnalité du collègue qui intrigue. Un visage d’ange blondinet, jeune, doux et ténébreux. Calme voire stoïque. Martin Jones (Miles Teller) est un flic
débutant dans un Los Angeles plongé dans le noir. Dans le très noir de la cité des anges. On se dit alors : c’est parti pour l’ordinaire de la série policière, enquête, filature, indics et justice finale (les bons ont raison à la fin). Mais patatra, Refn ne roule pas à l’ordinaire. À coups d’habiles coups de pieds dans la fourmilière du genre, Refn nous entraîne dans un film-songe où tout paraît se dissoudre et s’abolir. Ainsi, le temps, la lumière, le son, et tous les standards sacro-saints de la série sont passés à la moulinette danoise. Première entaille au serial contrat, chaque épisode s’étire sur l’heure et demie, ce qui fait des douze épisodes un Mahabharata télévisuel de 12h30. Ce temps long, Refn l’étire encore par un filmage ralenti jusqu’à la souffrance. Un panoramique d’un coin à l’autre d’une pièce est un plan séquence qui peut dépasser la minute. Refn nous le dit clairement : les amateurs de montages Fast & Furious ne sont pas les bienvenus.
La lumière, elle, est un éclairage aux néons, sous lesquels les visages, les espaces, prennent des teintes claires obscures de bleu, de violet, de vert, de jaune, de orange et de rouge. Cet éclairage de boîte de nuit sert les scènes de nuit et d’intérieurs alors qu’une lumière blanche, sans fard, découpe les extérieurs jours. Ajoutez une BO d’une électronique rude, presque low fi (Cliff Martinez), qui dramatise à souhait le silence qui est
partout, vous voilà à bord du vaisseau hypnotique que Refn a concocté pour votre visite des tréfonds de l’âme humaine. Il y aura de la violence, de l’amour, de la folie, douce parfois, de l’argent, du pouvoir, du sexe, un cocktail que l’on a déjà goûté serait-on tenté de dire. Mais voilà, Refn est un barman électrique et c’est dans le sous ou le surdosage qu’il surprend le client. Et, ce dernier doit l’avouer, il hésite avant de retourner le soir suivant devant le petit écran : si la boisson qu’on lui sert est addictive, elle n’en pas moins effrayante.
Angelo della Spiaggia
Too Old to Die Young, 2019, USA
de Nicolas Winding Refn, Ed Brubaker.
Avec Miles Teller, Augusto Aguilera, Nell Tiger Free.