Nathalie
Je me rappelle exactement de la première fois où je suis tombé amoureux. Parce que je suis vraiment tombé. Une piste noire aussi vicelarde que l’agenda de DSK. J’étais très sportif à l’époque, n’en déplaise au sourire sardonique que je vois naître sur vos visages incrédules. Tombé disais-je, avec pour conséquence une magnifique entorse. J’étais en colonie de vacances, invention destinée à rendre leur liberté aux parents pendant quelques semaines, leur évitant ainsi un emprisonnement à vie pour acte de barbarie sur leur progéniture…
Bref, tombé et nanti d’un plâtre, j’errais, claudiquant bas sur mes béquilles d’aluminium, laissé pratiquement à l’abandon par l‘administration dans cette immense colonie sise à St Laurent du Pont, Isère, commune tristement célèbre pour sa boîte de nuit le 5-7, où, le 31 octobre 1970, périrent dans un incendie 146 jeunes noctambules. Score assez élevé dû à la brillante idée du propriétaire des lieux de condamner les issues de secours pour éviter la resquille. Cette digression revêt une importance capitale pour la suite de l’histoire ; les fantômes du 5-7 étant supposés hanter la commune dès la nuit tombée, leur évocation donnait lieu à des veillées terrifiantes favorisant les rapprochements pré-pubères.
Las, j’arpentais donc les couloirs de cet Overlook, mes pas hésitants me conduisant irrémédiablement vers les quartiers des filles où je fis la connaissance de Nathalie, privée elle aussi des joies enneigées par un embarras gastrique comme on disait au vingtième siècle.
Au détour d’un couloir, nos yeux se croisèrent pour se reporter immédiatement qui sur le mur, qui sur le plafond, gênés et timides, avant d’oser enfin nous regarder, conscients d’un émoi ineffable mais partagé. Nous nous racontâmes nos jeunes vies respectives, notre ennui d’être privés de ski et le bonheur aussi de disposer des lieux sans contrainte hiérarchique. Nous nous promîmes de nous retrouver plus tard, à la veillée, et nous nous séparâmes, la promesse d’un amour naissant au creux du ventre, heureux mais inquiets à l’idée du premier baiser qui viendrait au soir.
Le soir vint. Autour du feu de camp, les plus âgés des colons se délectaient de nos peurs, chacun y allant de son anecdote sur les fantômes du 5-7, déclenchant des cris d’effroi chez les plus jeunes dont Nathalie et moi faisions partie. Bien sûr, elle vint se réfugier dans mes bras, bien sûr je profitais de la pénombre pour l’embrasser, et, bien sûr, les quolibets nous suivirent pendant le reste du séjour…
Je ne revis jamais Nathalie.
D’autres feux de camps, d’autres amoureuses.
D’autres baisers aussi, mais jamais ils n’eurent le goût de celui-ci, le goût de la première fois.