Vous arrivez à Tende. Malgré la pluie, vous parvenez à distinguer clairement la terrasse du ’’Bar des sports’’. Des idées salivantes prennent formes mais voilà, se présente devant vous un monument aux morts, aux morts pour la France. Balarello Antoine, Cabagno Maurice, Cavallo Pierre, Mascarello Nicolas, … morts pour la France lors de la deuxième guerre mondiale.
Bien. Ce n’est pas le tout, ce long voyage se composerait bien avec une bière d’arrivée. Vous traversez l’avenue du 16 septembre 1947, qui célèbre le glorieux rattachement de la commune à la nation française et voici une table libre où une vue panoramique du centre-ville s’offre à vous.
Dis donc, c’est sympa ici, on dirait un peu l’Italie ! Non, c’est vrai cette architecture, ses coursives dans les immeubles, ce panaché de couleurs. Chouette. D’ailleurs deux anciens passent en marmonnant un patois aux accents… transalpins.
Vous revenez au monument aux morts, un doute a pris une forme d’interrogation : mais comment sont-ils morts pour la France … en étant italiens ????? Et puis d’ailleurs quel genre d’italien oserait s’appeler Maurice ou Albert ?
Perplexe, rongé par cette soif de logique qui nous rassure, rassuré par une raison d’être là, vous enquêtez.
L’office de tourisme vous apprend qu’on a peu de chose à dire sur ce sujet. Le référendum, le rattachement à la France et… point.
Le Bar des sports, qu’on ne sert pas ici des Spritz, on n’est pas en Italie, hein !
La tablée de jeunes d’à-coté, qu’à part le breton arrivé il y a une dizaine d’années, personne n’en sait plus que l’Office de tourisme.
Le Breton vous dit : « C’est une sale histoire. La France a annexé ce coin de la vallée, organisé… bien organisé un référendum et puis basta, assez plutôt, l’Italie c’est fini. Moi aussi ça m’a intrigué quand je suis arrivé. Allez parler aux vieux. Vous verrez, c’est une sale histoire je vous dis. »
Des murs vous montrent des réclames en italien qui réapparaissent à la faveur d’aplats de peinture vieillissants.
Le cimetière vous indique qu’aucun mort après 1945 n’a de prénom italien. Les noms de famille finissent plutôt par i, o ou a.
Le web vous parlera de la conférence de Paris. De l’état français victorieux.
D’ailleurs, pour bien le montrer, il faut annexer des territoires aux perdants. Disons, si on a un butin (territorial) de guerre, ça prouve qu’on est des vainqueurs et puis… enfin bref, la France n’a pas basculé dans le fascisme, a eu une résistance héroïque et massive, pis une armée libre, contrairement à ces salauds de ritals qui, en plus, nous ont fait le coup du ’’coup de poignard dans le dos’’ lors de l’invasion allemande. Nan, pis c’est vrai ces trois, quatre patelins ont été français pendant 20 ans au 19ème siècle.
À présent, il vous faut aller au ’’Bar du colombier’’. La tenancière sera enchantée d’entamer une conversation en italien et de vous conter la sale histoire. Née italienne, elle est donc devenue française en 1947. D’ailleurs, lors de sa demande de pension pour la retraite, elle a dû lutter ferme avec l’administration pour prouver qu’elle n’était pas immigrée. Elle vous raconte la fin de la guerre. La libération. Les brigades garibaldiennes qui délivrent la vallée. L’arrivée de l’armée française, après, composée de troupes coloniales. Le retour de l’état italien et la préparation de l’annexion, du référendum, pour dire joli.
Préparer les opposants à l’idée de partir, préparer des critères pour savoir qui vote, préparer des coudes à poser sur la pile du non, préparer quelques bastonnades pour finir de bien comprendre, préparer des paillassons avec les rideaux des isoloirs…
Bref préparer un bon 92%, ça fait sérieux, peut-être un peu trop, non ? Les Italiens parleront à leur tour du « coup de poignard » *.
Ensuite, ce sera la période des déménagements, puis du grand effacement orwellien… Vrai, c’est pas si glorieux que ça malgré les efforts. Alors un coup d’éponge sur les murs, les prénoms, ce ne sera pas trop. Qui voudra s’en souvenir à part quelques vieux et un Breton ?
Et puis pour une fois, ça a été fait avec la forme. Pensez à toutes ces conquêtes fraaançaiiises où c’était compliqué d’y mettre les apparences. Là, 68 ans après, ça a de la gueule, non ? Nickel !
Ça laisse des perspectives, hein ? Il y a quand même des beaux patelins de l’autre coté des frontières. Disons… Gênes ou Liège ou… Munich. Non, Munich c’est pour rire !
D’ailleurs, pour continuer à rire :
http://www.ina.fr/video/AFE85001556
Un peu moins :
http://www.vastera.it/RIVISTA/48/pagine_48/briga_confini.htm
Si vous avez des problèmes de traduction, n’hésitez pas à passer au Bar du colombier !
Plus facile : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_local_sur_le_rattachement_de_Tende