Bring the noize #2

Bring the noizeBring the noizeBring The NoiZe
Une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des groupes et musiciens c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même.

Fugazi_First Demo_LPJe ne vais pas faire le procès de Dischord records ni de Fugazi. Après tout je me fous complètement des motivations qui ont poussé Ian MacKaye, Guy Picciotto et consorts à faire publier, près de 26 ans après son enregistrement, la toute première démo de leur groupe. Le fait est que l’on rentre ici de pleins pieds dans la légende de l’underground US et – surtout – que le son de cette démo est tout simplement excellent. Jusqu’à presque éclipser la qualité de certains enregistrements studio que Fugazi a ultérieurement fait de la plupart de ces mêmes titres. Des titres que l’on retrouvera donc sur le premier EP du groupe (Song #1, Joe #2 et Break-In), le premier 12’ (Waiting Room et Bad Mouth), sur Margin Walker (And The Same), l’album Repeater (Marchandise) et une compilation (In The Defense Of Humans). Furniture sera lui réenregistré bien plus tard en 2001 pour le EP du même titre, quant à The Word il figurait déjà sur la compilation célébrant le 20ème anniversaire de Dischord, en 2002. Seul Turn Off Your Guns est un inédit complet. Mais qu’importe, et qu’importe aussi que ces chansons soient présentées dans des versions de travail, parfois chancelantes, qu’importe que Fugazi soit un peu approximatif – punk ! – ici ou là parce qu’avec cette First Demo on touche du doigt un moment de vérité, crue et entière.

USA Nails_Sonic Moist_LP Pour toutes celles et tous ceux qui se désolent (à juste titre) que l’un des meilleurs disques de l’année 2014 ait été enregistré en 1988 par un groupe désormais en hiatus illimité depuis douze ans, j’ai peut-être une solution. Cette solution s’appelle USA Nails, un groupe anglais qui vient de publier un premier album du nom de Sonic Moist chez Smalltown America et Bigoût records (cherchez l’erreur). Dans USA Nails on retrouve quelques habitués de la scène punk et noise londonienne, notamment des musiciens issus de Kong ou de Silent Front. C’est peu dire, en tous les cas, que Sonic Moist est l’une des plus belles surprises de l’année avec son punk frénétique, acharné, juvénile, teinté de dissonances noise et dominé par un chant de damoiseau surexcité. Une musique à la fois revigorante, accrocheuse, urgente et aux services de tubes lapidaires et enragés mais toujours bienveillants, positifs. Bien que revendiquant l’influence du kraut rock, USA Nails joue sur le format (très) court ; certes les rythmiques sont répétitives mais le groupe préfère ciseler ses compositions avec le même genre de soin et de précision employés par d’autres combos punk avant lui (quelque part entre les Buzzcocks et Hot Snakes, pour ratisser vraiment très large). Pour un coup d’essai, c’est une vraie réussite.

Silent Front_Trust_LPEt puisque j’en parlais, abordons le cas de Silent Front. Ce trio, anglais également, est du genre stakhanoviste des concerts, tournant inlassablement mais n’ayant jusqu’ici jamais réussi à concrétiser et canaliser sa furie live lors de ses enregistrements studio. Dead Lake, le premier véritable album du trio publié en 2010, était pas loin de devenir calamiteux à force d’être décevant, et ce malgré quelques bonnes compositions. Conscient du problème, le groupe a réussi à remonter la pente, d’abord à l’occasion de quelques formats courts bien sentis puis avec son deuxième album, Trust, publié en février 2014 par Function records. Cet album correspond bien mieux au Silent Front qui arrache tout sur son passage avec son hardcore émophile, alambiqué et contrasté juste ce qu’il faut. En toute honnêteté, l’originalité du propos n’est pas la plus grande qualité de Silent Front ; non les principaux arguments du groupe restent l’intensité et le décrassage en mode déménageurs bretons, contrat que Trust arrive enfin à remplir. Reste que lorsque ces anglais repasseront en concert près de chez vous, il ne faudra surtout pas les rater.

Shield Your Eyes_Reciprocate_LPLongtemps compagnons de route de Silent Front, les Shield Your Eyes viennent eux de publier leur sixième album en sept années seulement. Reciprocate voit l’arrivée d’une nouvelle bassiste (Dearbhla Minogue) qui tire très bien son épingle du jeu, chose pas évidente à réaliser lorsqu’on doit se confronter à la paire Stef Ketteringham (guitare et chant) et Henri Grimes (batterie), noyau dur et entité gémellaire du groupe depuis ses débuts. Reciprocate est un album encore plus disparate que son prédécesseur, le magnifique Reach. Mais c’est aussi un disque des plus captivants parce que de plus en plus lumineux et parfois presque mystique (le titre Stands, pièce maitresse de l’album, hypnotique). Reciprocate a été enregistré avec des petits moyens et comporte même deux plages en concert, dont le fabuleux Drill Your Heavy Heart, une composition sur laquelle Shield Your Eyes nous fait une belle démonstration de blues noisy et urbain, toute en générosité et en rage à peine contenue. Le parcours de ce groupe décidemment atypique reste des plus passionnants, depuis ses débuts pas loin d’être foutraques et beaucoup plus bruyants – je me rappelle de concerts où Shield Your Eyes jouait vraiment très très fort – jusqu’à maintenant et ce Reciprocate, un album chargé de subtilité voire de délicatesse. En clôture, False Neutral et le très étonnant And And And (avec son banjo et son chant apaisé) dévoilent ce côté toujours plus magiquement précieux de la musique du trio. Peut-être l’indication d’une nouvelle voie à suivre. À noter que Shield Your Eyes a publié Reciprocate sur son propre label, Romac, en toute indépendance.

 

Hazam.