Roméo et Juliette au Théâtre de la Croix-rousse

Les Castagnettes de Carmen # 24

Roméo et Juliette de Boris Blacher au Théâtre de la Croix-rousse avec l’Opéra de Lyon du 8 au 15 février

C’est un bien beau spectacle que nous offre ces jours-ci l’Opéra de Lyon avec ce Roméo et Juliette méconnu. La délocalisation des représentations au Théâtre de la Croix-rousse n’est en aucun cas une relégation : la taille modeste d’une œuvre mobilisant une dizaine de musiciens (sous la direction d’Emmanuel Calef) appelait un cadre intimiste, d’autant plus nécessaire que la mise en scène de Jean Lacornerie en rappelle le contexte de création. C’est en effet en 1944, en pleine Seconde Guerre mondiale, que Boris Blacher a composé la partition de cet opéra de chambre sur les amants de Vérone. Malgré les horreurs du temps, il reste encore dans sa musique un peu de l’effronterie créative des années 30, que renforce l’ambiance « cabaret » — avec piano de bastringue (Sylvaine Carlier) et diseuse ayant beaucoup vécu en robe fendue (April Hailer) — qu’a privilégiée le metteur en scène.

On ne fera pas ici l’injure de rappeler une intrigue qui, pour avoir été resserrée, n’en reste pas moins fidèle à l’original — ce d’autant plus que Blacher a conservé le texte de Shakespeare (en anglais, donc). Ainsi musicalement transposée, la pièce révèle une poésie nouvelle, soulignant la naïveté juvénile des personnages comme l’absurdité des contraintes sociales et patriarcales qui les enserrent. Elle rappelle également combien le théâtre élisabéthain se voulait composite, mêlant théâtre et danse et, surtout, imprégnant le drame d’une solide dose de féérie et d’humour. On a beau en connaître l’issue fatale, on rit beaucoup devant une œuvre dont le metteur en scène a su renforcer les côtés farcesques. L’inventivité du décor (un œil gigantesque dont la pupille pivote pour laisser passer personnages et musiciens) et des costumes (ou quand un casque à pointe devient support érotique…) y est pour beaucoup. Ajouté au plaisir manifeste des chanteurs, parmi lesquels on retiendra notamment Reika Baikoff (Juliette) et Eira Huse (Lady Capulet), ce Roméo et Juliette est une réussite.

Carmen S.

© Stofleth