La sérigraphie a de beaux jours devant elle
C’est déjà la fin de l’été dans la bigarrée plaine de la Guillotière, la fourmilière des gens vaquant nonchalamment à ses occupations, profitant des derniers rayons encore surchauffés du soleil. Jupes au vent et senteurs d’épices sur Gambetta direction Marseille. La Fosse aux Ours, de l’Autre coté du Pont, la Griffe, le 6e Continent… les lieux sont hospitaliers et rapidement familiers ; idem pour l’ambiance générale qui tranche allégrement avec celle (par exemple !) du quartier de St Jean, où désormais pullulent quelques abrutis adorateurs pêle-mêle de la « sainte » vierge, du dieu Aulas et d’une idéologie vomie depuis des lustres par les tenants d’une (f)rance profonde (sic) et réactionnaire. Celle qui aime n’aimer personne et n’a de cesse de prôner la fermeture des frontières en même temps que celle des esprits. À voir ce que cela donne actuellement en Hongrie et en Grèce, on n’ose à peine imaginer la teneur feutrée des thèmes judicieusement choisis lors des prochaines campagnes pour les Européennes et autres Municipales… Parenthèse indubitablement refermée en arrivant devant l’antre de Logomotif, un atelier de sérigraphie « à l’ancienne » dans lequel nous accueille l’affable et ineffable Papy Art, qui semble avoir voué sa vie à cette technique d’impression. Et aux lieux plutôt « alternatifs ».
« J’ai effectivement découvert la sérigraphie, militante de prime abord, à la fin des années ’70 avec le Comité Populaire de la Croix Rousse qui luttait à l’époque contre la démolition de certains immeubles des Pentes et pour le droit au logement. J’ai appris sur le tas dans un atelier qui tournait alors tous les jours, j’ai ensuite passé un C.A.P et j’en ai fait depuis mon métier… ».
Et si de l’antiquité jusqu’en 1968, les slogans peints sur les murs ont toujours su allégrement égayer l’œil oblique des passants honnêtes, en rompant catégoriquement avec le grisâtre imposé des murs de nos villes ; la sérigraphie est ainsi réapparue lors d’un joli mois de mai comme un mode de « communication politique » un tantinet révolutionnaire…
« Ce fut une vraie rupture avec le militantisme traditionnel, puisqu’il n’était plus question de simplement produire à la pelle des tracs basiques ou de concevoir des slogans, mais de créer de véritables affiches avec tout ce que cela comportait de nouveau en terme de graphisme, de dessins, de typographie et même des textes… ».
Changement de décorum. Et les affiches d’envahir les murs et les devantures, l’imagination au pouvoir. Dans les décennies qui suivirent, on dira de la sérigraphie qu’elle est devenu un art à part entière, mais ô combien populaire. On ira même jusqu’à causer de Pop Art outre Atlantique, dès lors que les affiches de certains trublions (Andy Warhol pour ne citer que lui) envahiront progressivement tant les salles des musées d’art moderne que les lofts de bourgeois new-yorkais en mal d’aventures…
« C’est en fait l’industrie publicitaire américaine qui dès l’après guerre a considérablement développé cette technique avec l’invention et l’utilisation de nouvelles machines, jusqu’à Warhol et consorts. Mais la sérigraphie est beaucoup plus ancienne puisqu’elle se réfère au « système du pochoir » inventé il y a plus de 1000 ans du coté de la Chine ; un procédé qui nécessite très peu de matériel et qui permet d’imprimer sur différents supports, papiers bien sûr, mais aussi textiles, plastiques, bois etc. cela reste une technique d’imprimerie avec de l’encre (et non de la peinture) qui passe simplement à travers des mailles ».
Avec l’avènement du 21e siècle et du tout numérique, on pensait imbécilement que la sérigraphie était devenue un peu Has Been, mais…
« Pas du tout. Parce qu’elle renvoie directement à une envie immédiatement créatrice et au Do It Yourself : on peut en faire dans sa salle de bain, désormais avec de l’encre à l’eau, et surtout avec ses propres chartes graphiques ! Considérant son coté « autonomie de production » et mode d’expression populaire le plus souvent revendicatif, elle s’est progressivement imposée sur tous les continents, et l’on ne compte plus les différentes façons de faire, les nombreuses écoles de sérigraphie et autres ateliers clandestins. Des ateliers comme il y en avait à Ground Zéro ou à la Friche RVI si l’on veut rester dans le local.
Elle conserve néanmoins symboliquement un coté historique et militant (le plus souvent d’extrême gauche) ; et il n’est pas anodin qu’elle ait accompagné les revendications des révolutionnaires mexicains dans les années 20-30, ou les « événements » de mai 68 en France. À ce propos, les célèbres affiches de Beaux Arts parisiens de l’époque cotent aujourd’hui très cher… En la matière, ce ne fut pourtant pas « Paris et le désert français », puisque la production lyonnaise par exemple n’était pas en reste à ce moment-là : je dois justement présenter quelques-unes de ces affiches lors d’une prochaine exposition ».
Dans le cadre de la Biennale de l’art Hors Normes (BHN), notre loustic dévoilera en effet à la Manufacture des Tabacs du 25 septembre au 10 octobre, nombre de ces « pièces » qui caractérisent l’histoire du militantisme entre Rhône et Saône. Une histoire qui en l’espèce singe l’éternel recommencement, et qui tendrait à démontrer que nos murs et devantures ont une mémoire : « Je continue à produire des séries de tee-shirts et affiches sérigraphiés en rapport avec certains événement de l’actualité politique ; concernant par exemple la réélection de Obama ou l’emprisonnement des Pussy Riot. Et simplement pour distiller un point de vue ».
Un point de vue souvent hors normes et hors conventions, qui sied à ravir à ce mode d’expression. Notez in fine que Madame Lapin partagera l’affiche de cette exposition en présentant un éventail de sa singulière Fanzinothèque mondiale, que l’on peut habituellement consulter au Cri de l’Encre dans le 1er arrondissement.
Et lorsque l’on évoque les fanzines ; là encore, le mode d’expression allié à la façon de faire, ont sans aucun doute à voir avec quelques envies épicées libertaires. Comme celle de s’asseoir à une terrasse de café rue de la Guillotière, en sirotant le temps qui passe.
Biennale de l’art Hors Normes (BHN), Papy@Art à la Manufacture des Tabacs du 25 septembre au 10 octobre