Ceux qui n’ont pas confiance en ce qu’ils voient sont désespérés.
Un homme en blazer en cuir se prend en selfie. La caméra passe derrière son épaule, son visage apparaît en basse définition à travers l’écran du portable, déformé par ses grimaces. Les piercings, les tatouages recouvrent le visage, le lobe des oreilles. Il s’allonge dans l’herbe, regarde le ciel, se filme. Dans un hangar il s’assoie, s’injecte une dose dans la jambe. Une voix off en polonais, sa voix : « l’espoir est en toi quand tu crois que la terre n’est pas un rêve mais de chaire et de sang, que la vue, le touché et l’ouïe ne mentent pas, que toutes les choses que tu as vues ici sont comme un jardin vu d’un portail (…) Certains disent que nous ne devrions pas avoir confiance en nos yeux qu’il n’y a rien qu’une illusion. Ceux là sont désespérés ».
Cette année le Musée d’Art Contemporain de Lyon inaugure un programme de résidences avec en ouverture un artiste réalisateur : Olivier Zabat. Celui-ci sera suivi de Lola Gonzalez, vidéaste et diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon dans laquelle Olivier enseigne. L’installation intitulée Le Bruit que propose l’artiste est composée de deux films projetés au mur et de cinq autres présentés sur écran avec son au casque. Ces courts-métrages sont isolés de deux sources filmiques préexistantes : Fading réalisé en 2010 montré à la Mostra de Venise et Percepts, film en cours de tournage. Ces fragments, isolés de longs métrages, forment une constellation qui peut être abordée sans ordre prédéfini. Nous entrons dans le film à travers la vision des personnages ou de ceux qui les aident. Le hors champ des images et de la narration n’étant pas accessible c’est au visiteur de s’adapter à ce langage particulier, tenter de le traduire.
Le cinéma « documentaire » d’Olivier Zabat convoque la mise en scène, la scénarisation de soi, la capacité de se représenter à l’aide de portables, de caméras. Un geste à portée de main dans une culture influencée par les écrans, le cinéma. Il s’agit de dispositifs, d’outils de représentation que des individus mettent en place, inventent afin de pouvoir sortir d’un isolement, d’une marginalité. Ces outils leur permettent de communiquer avec l’autre, de concrétiser ce qui n’est pas visible ou simplement inventé. Trouver une méthode (selfies, marionnettes, écriture) qui permet de traduire ces voix, cette perception singulière du monde afin d’en faire une force.
Le langage narratif des personnages évoque celui du jeu, de l’enfance. Des êtres perdus, en situation de précarité mentale ou physique parlent à une figurine de dinosaure, pleurent derrière un clown Playmobil, créent des images ou essaient de traduire ce que la pluie tente de leur dire. Le cinéaste étudie le border line, le transgressif, une incapacité à être au monde dans une norme imposée. Une lutte afin d’entendre et de se faire entendre. Survivre.
Dans Ce que ma mère me dit, une femme essaie à l’aide de collage de comprendre l’autre, de savoir si elle voit réellement son entourage comme il est et non comme elle le perçoit : « Maybe I don’t see Rufus as he really is. Maybe I’m blind ». Tenter de revenir à une forme originelle dans la perception des choses et du monde. Un écrivain, dans le noir, éclairé seulement par la lumière laiteuse d’un écran fait parler son inconscient, une peluche dans chaque main. Au cœur du conte le loup dénigre le travail de l’écrivain et le pousse à arrêter. La girafe au contraire le rassure. Un rituel. Il enlève les marionnettes dans la pénombre, remercie et salue les deux protagonistes. Un murmure. Une impression, celle de passer du côté du rêve si inquiétant soit-il.
Ces films sont à l’image d’une vitre, une frontière entre deux mondes. L’un tentant de communiquer à l’autre ses maux. La souffrance de celle qui entend des voix, celle pour qui la mère est une inconnue, l’écrivain qui doute. Cependant chaque film est un espoir dans la lutte qu’il propose et son urgence d’altérité. Cet homme essayant d’extraire les voix de la pluie comme on ralentit une image. Transmission d’un langage. Un retour au temps primitif où les intempéries se révélaient favorables ou dévastatrices face aux incantations des hommes.
Emma Marion
Olivier Zabat / musée d’art contemporain. Du 8 mars au 7 mai 2017.