mes-nuits-sont-noires 1Je ne sais pas pour toi, mais moi, dès que l’on me bassine un peu trop avec « un truc incontournable » voire lorsqu’on m’assassine à coup de « tu comprends rien à ce qui important » ou « si t’en es pas, t’es qu’un loser » et bien je me renfrogne. Chacun est libre d’écouter la musique et d’aller aux concerts qu’il veut – même notre cher DJ Pompidou du Zèbre qui pourtant en connait un rayon question antiquités – mais ce qu’il y a d’insupportable c’est la présomption en matière de sensationnalisme et d’universalité. Ainsi il n’aura échappé à personne que la douzième édition des Nuits Sonores se déroulera à Lyon du 28 mai au 1er juin prochain. Parfait. Mais j’en ai juste assez que l’on me dise à cette occasion des choses aussi stupidement bien intentionnées que « oh ! comme tu as de la chance d’habiter à Lyon » et « tu dois vraiment bien t’amuser tous les ans ».

En général, c’est ma mère (qui lit Télérama) et ma sœur (qui lit les Inrocks) et qui toutes deux connaissent mon amour pour la musique (ahem) qui me sortent ça. Du tout cuit. Bon, vous êtes gentilles les filles, mais chaque année je n’attends pas le dernier week-end du mois de mai pour aller me trémousser et transpirer sur des musiques indociles ni me mettre le palpitant à l’envers. Et je suis triste de constater qu’un seul point de vue domine trop souvent l’actualité lyonnaise, actualité culturelle ou autre, d’ailleurs. Parce ce qu’à Lyon on aime beaucoup trop ce qui pétarade, on aime bien le clinquant et le scintillant. Dans le même ordre d’idée, ici on préfère dépeupler le centre-ville historique pour ne pas risquer que trop de pauvres puissent croiser d’éventuels touristes dans les rues piétonnes ; on réhabilite la confluence entre Rhône et Saône en éco-quartier mais on n’oublie pas d’y installer également un centre commercial high-tech avec des magasins emblématiques du commerce mondialisé et de l’exploitation éhontée des ressources terrestres ; on balaie le collectif Grrrnd Zero en périphérie pour qu’il ne gêne plus personne et – donc – on fait monter en sauce des évènements culturels au rayonnement si intense.

Observer impassiblement de loin et sous un angle élargi le beau tapis rouge de la vie culturelle lyonnaise revient finalement à n’apercevoir que ce qui prend toute la place. Or, comme chacun le sait, le Diable est dans les détails. A force d’entendre dire que le Festival Lumières (sorte d’apologie de la diffusion cinématographique en format numérique), la biennale d’Art Contemporain, le 8 décembre/Fête des Lumières (à la gloire de Marie Mère de Dieu) ou les Nuits Sonores sont des évènements culturels incontournables parce que populaires, on peut finir par le croire. Tout comme les braves gens peuvent désormais penser que les intermittents du spectacle sont principalement responsables du déficit chronique de l’assurance chômage – intermittents sans qui, au passage, tous ces évènements d’importance ne pourraient avoir lieu, faute de main d’œuvre à exploiter jusqu’à l’os grâce, précisément, à ce fameux « statut ». Et pendant qu’on y est pourquoi ne pas affirmer que l’économie – culturelle ou pas – irait mieux si on déréglementait totalement le marché du travail : qu’importe donc que l’on en chie dans notre vie de tous les jours, qu’importe que l’on tourne en rond dans des cages plus ou moins confortables puisque l’insouciance nous est offerte via de beaux évènements « culturels » mais surtout « rassembleurs ».

mes-nuits-sont-noires 2Mes nuits sont noires. Le titre de ce texte repompe allègrement le nom de soirées et concerts organisés à Lyon il n’y a pas si longtemps encore, en même temps que se déroulaient les Nuits Sonores. Des concerts où la musique n’était considérée ni comme une marchandise ni comme un prétexte populiste et bas du front. Et le public participant comme autre chose que du bétail, la réussite d’une soirée ne se mesurant pas à l’aune d’un record d’affluence battu (ou pas). Partager c’est aussi respecter. En tant qu’amateur de musique(s) et de concerts je ne me sens au contraire pas respecté au milieu de salles trop grandes, donc impossible à sonoriser correctement, pour écouter une infâme bouillie sonore et avec des lumières aveuglantes dans la tête pendant des heures. Je ne me sens pas respecté lorsque des musiciens et groupes que j’aime et que j’admire jouent devant des spectateurs-festivaliers qui s’en foutent un peu (beaucoup) et attendent le groupe top hype ou le DJ set juste après. En gros je ne me sens pas respecté lorsqu’un concert de musique est organisé comme un match de quart de final de la ligue des champions.

Par pur esprit de contradiction et par pure mauvaise foi, je t’invite donc, cher lecteur, à chercher ailleurs d’éventuels concerts se déroulant également sur Lyon (et agglomération) en ce long week-end d’Ascension – encore une fois : merci Dieu. Tu peux chercher dans l’ agenda du Zèbre par exemple, ou en utilisant ton moteur de recherche internet préféré. Peut-être même en osant déchiffrer les rares affiches DIY encore collées sur les murs de notre belle ville, si propre et si rayonnante. Tiens, moi j’en ai déjà trouvé deux de concerts, rien que pour le jeudi 29 mai – un jour qui, je le concède, est également le seul moment où les Nuits Sonores gagnent un peu en intérêt et ont presque bon goût : ce jour là des petits lieux disséminés dans la ville sont invités à choisir une programmation qui leur est chère et qui leur tient à cœur (chose que ces lieux font de toute façon pendant tout le restant de l’année…). Je ne te cacherai donc pas que j’ai fait exprès de choisir deux concerts qui font mal aux oreilles. Le premier d’entre eux se déroulera au Warm Audio et est programmé par le stakhanoviste David et son organisation terroriste Decibels For Us  : tu pourras y entendre, entre autres, les ignobles Cult Of Occult mais également les géants Plebeian Grandstand ; soit un concert de metal maléfique et de hardcore sombrement cataclysmique. Autre concert inratable mais cette fois-ci au Trokson  : les américains de Condominium, chantres – chancres ? – d’un hardcore tendance punk-noise crado et puant viendront y déverser leurs hymnes à la gloire du grand n’importe quoi ; en guise de hors d’œuvre les excellents stéphanois de Pervers & Truands viendront eux présenter leur premier LP qui vient juste de paraitre.

Voilà. Si tu as hurlé de rage tout en me traitant de sombre connard à la lecture de cet article et bien sache que tout le plaisir est pour moi. Si cet article t’a au contraire donné envie d’aller voir ailleurs alors j’en serai encore plus heureux. C’est l’immense et regretté Tom Cora qui disait : « il y a engagement politique dans les moyens de faire de la musique, pour les gens ». Dont acte.

 

Hazam.

 


Plebeian Grandstand + Cult Of Occult + Lack Of Soul + Gods Of Chaos au Warm Audio , 29 rue Wilson à Décines – 7 €uros
Condominium + Pervers & Truands au Trokson , 110 montée de la Grande Côte, Lyon 1er – gratuit