José
Je tiens à préciser par avance que l’histoire qui suit est rigoureusement authentique, les noms des (en l’occurrence du) participants et des lieux n’ont pas été changés parce que c’est plus drôle et qu’ils permettront aux protagonistes et témoins de se reconnaître et de jouir encore, 35 ans après, de cette gloire qui les a un temps auréolée.
L’histoire se déroule entre Genay, petite commune du Rhône où il ne se passe pas grand-chose et St André de Corcy, luxuriant village de l’Ain, où il ne se passe rien. Nous sommes au début des années 80, la jeunesse désœuvrée traîne son ennui à dos de mobylette. 103 SP, Ciao Vespa de Piago sillonnent les routes de France comme on dit au JT de Jean-Pierre Pernaut.
Customisées, trafiquées, équipées de guidons torsadés et chromés, de sissy bar en fer à béton, gonflées aux stéroïdes des kits Polini, ces 49.9 n’ont rien à envier aux Harley Davidson, excepté… Tout en fait. Mais en attendant d’avoir le permis et de se payer une Renault 12, il faut bien, le samedi soir venu, naviguer de fêtes des conscrits en bals des pompiers. Une manière de marathon de la bringue.
Salle des fêtes communale de Genay : température 26°. L’air est moite. Il est bientôt 22h30. C’est là qu’apparaît notre héros : José Pereira, ivre de marquisette et de frustration adolescente. Il vient d’essuyer un énième refus de la gente féminine incarnée par Corinne, précédemment 1ère dauphine au concours de Miss Beaujolais. La belle Corinne, pas trop enthousiasmée à l’idée de rouler des pelles à José, l’éconduit sans ménagement. Repris par l’orchestre Taib Trumpet, l’été indien de Joe Dassin sonnera le glas des prétentions hormonales de José.
Se souvenant alors qu’on donne un bal monté à St André, il enfourche son fier destrier, une vieille mobylette bleue empruntée à son daron. La plaine de l’Ain, chichement éclairée par une lune radine, laisse courir sur sa platitude des brouillards glacés et le brélon de José, zigzaguant au gré des embardées éthyliques de son pilote.
Il est triste José, et en colère aussi. Va leur faire payer aux crétins de St André, distribuer de la gifle d’apprenti maçon et pocher deux trois yeux. Parce qu’il est sans peur José. Et complètement bourré. Aussi, lorsqu’il voit arriver en face de lui deux phares de mobylettes dans la brume, l’impétueux se dit qu’il va leur foutre la trouille de leur vie à ces cons ! Passer à fond les ballons entre les deux bécanes en hurlant, Moïse rural scindant les flots motorisés…
Ce qui sauva la vie de José, c’est que le conducteur de la camionnette qu’il venait de percuter était pratiquement à l’arrêt. Alerté par la conduite erratique de la mob, le brave paysan n’avait pu que freiner sans pouvoir éviter le choc frontal.
De la mobylette il ne resta rien, si ce n’est le souvenir des virées entre potes, la descente de Poleymieux à Curis sans freiner, les journées à regarder les filles au bord de l’écluse.
José passa quelques semaines à l’hôpital, souffrant de quelques fractures et d’une honte tenace. Corinne ne vint même pas le voir…
Lili Drop – Sur ma mob 1980