Dessin de Charb

Dessin de Charb

Le GIGN va donner l’assaut. Dans quelques minutes, dans le nord de la France, à quelques kilomètres semble-t-il de la bonne ville de Villers-Cotterêts, où François Ier, en 1539, par ordonnance, institua le français comme langue administrative, en lieu et place du latin, les chiens assassins de Wolinski, Charb, Cabu, et tous les autres vont se faire tirer la barbichette. La justice suivra son cours, s’ils en réchappent, ils seront sûrement condamnés à une lourde peine, dans des prisons françaises devenues des repaires à barbus, sorte d’écoles maternelles du fameux Djihad.

 

Ce dénouement, la petite prof que je suis l’attendait non par crainte de voir ses individus courir encore et perpétrer d’autres lâchetés et ignominies mais pour espérer encore, espérer encore que nos flics ne soient pas juste là pour parader avec Kalach dans nos gares et aéroports, que notre Ministère de l’Intérieur ne soit pas là juste pour diviser par deux le chiffre des manifestants les jours de tristes grèves.

 

J’avais dans l’idée d’une chronique zébrée appelée « Mammouth et Monstroplantes » pour partager dans la joie, la bonne humeur voire la franche rigolade, le quotidien solitaire et désespérant d’une petite prof de banlieue. Petit lycée, élèves pauvres, niveau scolaire proche du niveau de la mer, savoir-vivre n’ayant pas connu les lois de l’évolution des espèces, crachats, insultes violences, bagarres, misère sexuelle, affective, intellectuelle, culturelle, cerveau branché sur TF1 et W9. Mes élèves rêvent de devenir Zidane ou Nabilla. Pour Zidane, il est trop tard… Avouez que cette chronique, ça aurait été la poilade !

 

Et puis mercredi est arrivé, le 7 janvier 2015… J’ai passé l’après-midi dans des limbes de tristesse de rage de colère et oui, de haine. Puis, l’inquiétude : « Bordel ! Il va falloir aller au lycée demain ! ». Pour mes élèves, se revendiquant en grande majorité musulmans, Saddam débusqué dans son terrier de blaireau est mort comme un homme, Ben Laden est l’équivalent de Jean Moulin, le 11 septembre est un complot, les Américains n’ont pas marché sur la lune, certains enfants naissent sans nombril, d’autres sortent du ventre de leur mère avec le Coran dans la main. Bref, je ne serais pas étonnée que pour certains d’entre eux, la terre soit plate et que le soleil lui tourne autour, Copernic et Galilée n’étant que de sombres agents du Mossad et de la CIA. Étudier la « Création d’Adam », plafond de la Chapelle Sixtine peint par Michelange suscite « force « Staf’allah » (évoque ton Dieu) et autres « C’est haram, wallah, c’est haram » (C’est pêché, j’te jure, c’est pêché)…

 

On m’évoquera l’âge, l’adolescence, cet âge ingrat, où pour se venger d’avoir des boutons et pour ces messieurs, un horrible duvet impossible à raser à cause des dits boutons, on clame haut et fort n’importe quelle ânerie pour montrer qu’au fond, hein, on a des idées et des principes… Certes. Mais les petits profs, à la longue, en ont un tantinet ras-le-bol de l’acné de la pensée. Sans compter que pour certains, il ne s’agit pas que de provocations adolescentes.

 

Jeudi matin, je me préparais donc à évoquer dans mes classes l’assassinat de 12 personnes travaillant pour un journal ayant publié des caricatures de Mahomet par de sombres dingos. Autant vous dire que j’aurais préféré aller chez le dentiste me faire gratter cette vilaine carie qui m’enquiquine.

 

Le grand cornac de l’Éducation Nationale, Mme Vallaud-Belkacem, nous envoie un mail jeudi matin pour nous prévenir que les drapeaux seront en berne et que tous les établissements de France observeront une minute de silence. Alors là, l’angoisse était à son comble. Une minute de silence à faire respecter à 350 monstroplantes abreuvés des « Ch’tis à Marseille » et d’islamisme. Gloups.

 

12h, jeudi 8 janvier 2015. Le silence se fait, progressivement. Nous savons bien qu’il ne sera pas aisé à obtenir… Quand soudain : « Allah Aqbar ! »… Une gamine. 15 ans. En seconde GA (section héritière du secrétariat / compta). « Allah Aqbar ! »… Brouhaha, rigolades, condamnation par certains élèves, les plus vieux, ceux de Terminale, ceux que, malgré tout, les petits profs ont réussi à tirer vers un minimum de fraternité humaine, travail harassant de trois ans, ne rien lâcher, ne rien laisser passer… La Proviseure crie, fait sortir cette élève du groupe… Puis, une fois la minute de silence recommencée, tenue et achevée, la prévient qu’elle sera convoquée devant le Conseil de discipline.

 

Cette élève sera exclue définitivement, ou pas. Soumise encore à l’obligation de scolarité, elle trouvera une place dans un autre établissement, où, peut-être, elle se posera en martyr et où elle fera l’admiration d’autres élèves. Quoi qu’il en soit, je suis déjà fière, que la proviseure de mon établissement, infime particule du mammouth ait pris cette décision. Parce que je sais que la même chose s’est produite dans un établissement de centre ville, établissement coté, bien vu, où nombre de parents font des pieds et des mains pour inscrire leurs enfants, et que le proviseur de cet établissement n’a pas pris la même décision…

 

Dessin de CharbJe ne sais pas pourquoi ce proviseur a refusé la comparution devant le Conseil de discipline. J’imagine que c’est au nom de la fameuse « volonté d’apaisement ». Qui parfois est si proche de la lâcheté. Le prix de cette lâcheté, c’est 12 morts, c’est un genou à terre pour un journal qui a accompagné des générations dans le combat antifasciste, anti intégriste. Le prix de cette lâcheté c’est que bientôt, plus une seule voix ne s’élèvera pour nous conforter dans le droit que nous avons d’être athée, d’abhorrer les religions, leurs prophètes, leurs cérémonials, leurs interdits. Si comme le disent mes élèves, nous ne « portons pas nos couilles », nous serons bientôt montrés du doigt, nous qui faisons de la laïcité un principe intangible, une condition de notre liberté. Car ils s’uniront tous contre nous, les incroyants ou les croyants tranquilles, les laïcards, les bouffeurs de curés. Le pire ennemi, c’est nous.

 

L’Éducation nationale, au jour le jour recule. Je le vois de l’intérieur, au quotidien. Même la loi de 1905, combat acharné de quelques illuminés de la fin du pouvoir de l’Église est édulcorée dans nos programmes. Il faut revendiquer haut et fort que la loi de 1905 est l’expression de la volonté d’en finir avec l’alliance du maroquin et du goupillon, avec la possibilité de la religion de mettre son nez dans les affaires séculaires et d’injecter le venin de « les derniers seront les premiers », petite phrase bien pratique pour faire se tenir tranquille les « damnés de la terre ». Il faut revendiquer haut et fort que la laïcité est d’abord et avant tout, la séparation des Églises et de l’État. Car la liberté de conscience et de culte, que l’on met en avant dans une « volonté d’apaisement », est garantie dans de nombreux États non laïcs. La laïcité c’est le droit que j’ai de ne pas savoir, même si tu t’appelles Salah, Moshé, Jean-Baptiste, que tu es musulman, juif ou chrétien. La laïcité, c’est le droit que j’ai de te dire que je n’en n’ai rien à foutre.

 

Mon intégrisme laïcard, sûr de lui et droit dans ses bottes, contrairement à « la volonté d’apaisement », c’est ce qui me permet, la conscience tranquille, d’étudier le plafond de la chapelle Sixtine avec mes élèves. C’est ce qui va me permettre, lundi matin d’apporter au lycée mes deux grosses anthologies de Charlie Hebdo pour les montrer à mes monstroplantes.

 

Mon intégrisme laïcard, c’est ce qui a fait que, jeudi 8 janvier, mes élèves que je connais depuis trois ans me cherchaient dans l’établissement pour que leur explique ce qui s’était passé la veille. Et ça, c’est une putain de fierté !

 

Dans ma prochaine chronique, je vous parlerai peut-être de mes collègues barbus. Peut-être pas.

 

Emma Ravot