le-sonic 1Bientôt huit ans que Stéphane Bony et Thierry Vignard barrent le Sonic plutôt à contre courant, pour en faire un club à part dans le paysage musical lyonnais. Aujourd’hui que les castors se sont retranchés en amont, nos marins d’eau douce se sentent certes un peu seuls, mais pas moins déterminés à garder le cap. Entretien.

Pas toujours facile de traverser la ville entre 18 et 19h pour gagner le sud en direction de la Mulatière, alors que des hordes de wisigoths s’écharpent au volant de leurs bolides, afin de rejoindre l’autoroute du soleil ou bien le tunnel sous Fourvière. Ça va évidemment plus vite en vélo ou en métro, sauf qu’à l’instar des golgoths susnommés, je suis accro à la bagnole comme un grizzly à sa caverne, et surtout à l’univers sonore qui y règne en maître. J’ai incessamment rendez-vous au Sonic pour cuisiner les deux capitaines du navire, avant un concert très attendu de l’Enfance Rouge & Eugène Robinson, épaulés par le quartet A What ? en première partie. J’ajoute qu’il fait ce soir un froid de canards aux abords de la Saône, bientôt transformée en banquise et moi en ours polaire mal léché. Si ce n’est qu’à l’arrivée, le cœur des braves se réchauffe rapidement à l’intérieur de la péniche, alors que les locaux de A What finissent de balancer en nous délectant de leurs nouveaux titres récemment enregistrés. À ranger en bonne place entre Talking Heads, Bästard et une B.O d’un film de David Linch. Je croise rapidement Thierry en dessous de ligne de flottaison, et lui demande d’emblée si il a des photos du bateau pour mon article, éventuellement prises l’été dernier au crépuscule sous les lampions… Il me répond que non et qui plus est, que ce n’est pas vraiment le genre de la maison !

Alors justement, c’est quoi le genre de la maison ?

On a pris par exemple l’habitude d’organiser des soirées Dark Eighties tous les samedis, et en l’espèce, ça n’a rien à voir avec un genre de folklore qui engloberait guinguette, bal musette et guirlandes à gogo… C’est pour cela que j’aimerais plutôt avoir une photo du bateau dans la pénombre, pris dans les glaces (!) et mettant en valeur ses vieilles ferronneries !

le-sonic 2Le Sonic est-il aujourd’hui clairement identifié ?

Le lieu est de fait identifié par les gens de façon complètement différente, et simplement parce que nous avons à faire à des publics réellement hétéroclites. Par exemple, on a une soirée Gay par mois et pour ce public, nous sommes un club gay ! Quant à ceux qui viennent le samedi retrouver une ambiance sonore plutôt cold wave, post punk (etc.), ils voient le Sonic comme une boite goth… Enfin pour ceux qui viennent la plupart du temps exclusivement aux concerts, nous sommes juste une salle de concerts. Au final, nous ne sommes pas catalogués dans une case et ça nous convient parfaitement. D’autant que nous cultivons ainsi notre coté schizophrène.

Entre le club et les concerts, votre cœur fait des vagues ?

Non parce que ça n’a pas la même fonction pour nous. En schématisant, on va dire que l’activité club c’est plutôt marrant et alimentaire, et les concerts, c’est ce que l’on a toujours fait mais c’est déficitaire. L’idée, c’est de mixer tout ça à notre sauce.

En regardant dans le rétroviseur, c’est ce que vous aviez imaginé ?

Non parce qu’en prenant un peu la suite du Pez Ner, on pensait pouvoir subsister en faisant uniquement une salle de concerts flottante. Et cela s’est avéré impossible financièrement parlant. Du coup, on expérimente depuis pour trouver la bonne formule, trouver le bon équilibre entre les deux activités, club et concerts.

le-sonic 3Même en se focalisant sur la « programmation club », on n’a pas non plus l’impression que vous visez l’ambiance Macumba et autres boites de l’ennui ?

Bien sûr que non. Le but du jeu est de mélanger les publics, de faire venir les gens habitués des soirées aux concerts, et inversement. De créer des passerelles musicales. Il s’agit quoi qu’il en soit de garder une certaine cohérence. Et d’abord en matière de programmation.

Qui s’organise comment ?

Ça fonctionne en réseau comme dans une salle de concerts normale ! Avec tout d’abord notre propre programmation, et ensuite la mise à disposition du lieu à diverses associations : on a ainsi pris l’habitude de bosser souvent avec les mêmes (Génération Spontanée, S’étant Chaussée, Perspectives Irrationnelles etc.), pour générer une vraie continuité et un genre de professionnalisation, parce qu’il s’agit aussi d’être « carrés ». Et forcément en respectant la légalité, notamment lors des soirées.

Vous naviguez uniquement en solitaires ?

On travaille de temps en temps avec le Clacson et l’Épicerie Moderne, mais aussi de plus en plus souvent avec l’Artothèque de la MLIS de Villeurbanne. Ça avance doucement mais sûrement. Et concernant les différentes salles du Grand Lyon, disons qu’il y a aujourd’hui une réelle volonté de ne pas se tirer dans les pattes, bien au contraire, et c’est vraiment appréciable.

Quant à vos rapports avec le fleuve ?

On vient enfin de récupérer le certificat de navigation et c’est une vraie bonne nouvelle : le bateau est officiellement en bon état, paré pour faire face aux crues et autres tempêtes. Sachant qu’il y a constamment quelque chose à faire ou à réparer sur une péniche, et qu’à ce niveau, c’est le do it yourself qui prévaut avec les moyens du bord. Les castors ayant progressivement disparus des parages, il va bien falloir que l’on se démerde tout seuls…

Quels sont vos projets, d’aménagement du bateau et de ce qui s’y passe à l’intérieur ?

La « ligne » du Sonic est aujourd’hui plutôt bien définie et il s’agira pour nous de garder le cap. Quant au bateau, on imagine justement un meilleur aménagement de l’extérieur, pour essayer de proposer un espace plus convivial et faire ainsi venir les gens plus tôt, avec le retour des beaux jours. Pour le reste, on se situe un peu entre deux eaux par rapport à ce qui se passe en face à Confluence, vu de notre no mans land de Perrache. Face à cette effervescence, c’est plutôt wait & see. Mais disons que cela ne peut être que bénéfique pour nous à terme, sachant que notre quartier sera un jour désenclavé grâce à la construction (en projet) d’une passerelle entre ici et la Mulatière.

C’est déjà demain ?

C’est surtout du long long terme. Pour l’instant, on est à la fois pas loin et complètement à l’écart. Mais en l’occurrence, on a l’habitude.

Laurent Z