La loi et la contrainte

À quoi peut bien penser un travailleur pauvre ou mal rémunéré durant sa dure journée de labeur ? À pas grand-chose bien sûr. Personne ne lui a demandé de penser à quoi que ce soit, juste à son travail, à la bonne santé de « son » entreprise – peut-être a t-il juste de temps en temps la crainte de le perdre, son petit emploi de merde, ou alors la peur de ne pas voir renouvelé son contrat à temps partiel et rémunéré au smic.
Et lorsqu’il ne travaille pas, il s’occupe comme il le peut. Par exemple, tous les jours ou presque il mange une soupe chinoise en plastique achetée pour 65 centimes dans une épicerie tchong du côté de la rue Passet ou de la rue Pasteur. Il ouvre le premier sachet, met les pâtes dans un bol, rajoute la poudre chimique qui donne un goût de crabe, de porc ou de sésame au truc, rajoute le gras indéterminé contenu dans un autre sachet et verse de l’eau bouillante par-dessus (variante : il fait chauffer le tout dans son vieux micro-ondes cancérigène). Après, deux options s’offrent à lui : est-ce qu’il commence par boire le bouillon insipide puis mange les pâtes caoutchouteuses ou est-ce qu’il commence par les pâtes et termine par le bouillon ? Ça s’en pose de drôle de questions, un travailleur pauvre, quand il ne travaille pas et qu’il s’emmerde. Du moins c’est ce que l’on voudrait bien nous faire croire – comme une affaire entendue.

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Et voilà que ça gueule contre la reforme du code du travail envisagée par le gouvernement français actuel. La « défense » du travail et des conditions de travail… laissez-moi rire. Du travail il n’y en a pas pour tout le monde. Ce n’est pas le résultat d’un déséquilibre temporaire (appelons cela la « crise économique ») mais un état de fait qui dure depuis quelques décennies maintenant et qui de toute façon est récurrent dans l’histoire économique depuis que l’homme fabrique, produit, exploite et accumule. Non il s’agit d’un phénomène systémique de gouvernance, de domination. A la fois un bâton et une carotte, parce que nous sommes tous des ânes. Je passe sur la « nécessité » frauduleuse de travailler pour « exister », il y a bien encore des gens qui pensent qu’il faut se marier, avoir des gosses, devenir propriétaire, consommer au supermarché et aller voter tous les cinq ans pour réussir sa vie. Oui, du travail il n’y en a pas pour tout le monde et sans nul doute qu’il n’y en aura jamais pour tout le monde, c’est étudié pour. La réforme du code du travail c’est donc uniquement cela : virer quelques barrières légales garantissant plus ou moins l’achat d’une soupe chinoise quotidienne et une connexion 3G lowcost à quelqu’un qui bosse comme un chien et rendre l’offre de travail encore plus malléable et docile face à la pénurie organisée de l’offre d’emploi*. Si tu veux travailler, il faut fermer ta gueule et subir. Et pendant ce temps là, le système du déséquilibre de la « richesse » prospère.

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Ce n’est pas en défendant uniquement le code du travail (ou du moins ce qu’il en reste : je rappelle à toutes fins utiles que la suppression de l’autorisation administrative de licenciement en France date déjà de 1986) que l’on va défendre nos vies. La bonne question à se poser c’est : pourquoi travailler ? Et puis : pourquoi commencer ? pourquoi continuer ? Et enfin : pourquoi ne pas arrêter ? Ces questions je me les pose tous les jours. Pourquoi continuer à soutenir un système d’extorsion généralisée qui ne bénéficie qu’à un tout petit nombre ? Pourquoi continuer à croire, dans le meilleur des cas, au doux rêve d’une petite prospérité économique personnelle ? Pourquoi, dans le pire des cas, accepter de subir son supplice quotidien ? Ce qu’il faut défendre, c’est le droit à rien foutre. De toute façon, on y arrive bientôt, à ce moment où il y aura beaucoup plus de monde à la rue que de monde au bureau ou à l’usine. Alors autant s’y mettre tout de suite. Ce qu’il faut détruire, c’est l’idée que le travail est un fondement inattaquable, c’est l’expropriation systématique du temps humain, c’est le déni de la personne au profit de l’individu, c’est l’hypocrisie de l’accumulation, de la croissance économique à tout prix, c’est l’emprise de quelques uns sur tous les autres. Et il est grand temps de mettre en place un revenu inconditionnel de base pour toutes et pour tous : ce n’est pas le travail qu’il faut partager, ce n’est pas le combat de la survie dans le labeur qu’il faut défendre mais l’idée que la richesse économique doit être distribuée autrement.

Hazam.

* en économie, l’offre de travail correspond à la demande d’emploi et sur le marché du travail, ce sont les individus qui offrent leur travail, c’est-à-dire leur force de travail aux entreprises