« féministes de merde » #2 – bell hooks, le féminisme total

Tout le monde peut être féministe

bell hooks* est une des militantes féministes afro-américaines des plus influentes. A travers son écriture directe, franche, percutante, elle nous invite ouvrage après ouvrage à construire avec elle une théorie féministe accessible, inclusive et compréhensible.

Ainsi, l’autrice américaine, née en 1952 et morte en 2021 au Kentucky, affirme dès le début de son essai « Tout le monde peut être féministe » (2020 pour la traduction française) qu’elle a souhaité que celles et ceux qui se posent la question « qu’est-ce que le féminisme ? » puissent trouver une réponse qui ne soit « enracinée ni dans la peur ni dans le fantasme » ([1], p.9). Le féminisme, c’est avant tout « un mouvement qui vise à mettre fin au sexisme, à l’exploitation et à l’oppression sexistes » ([1], p.9). Mais il est aussi le moyen de s’opposer à toute forme de domination, que cette dernière s’attaque à la classe sociale, à la « race », à la couleur de la peau, au genre, au sexe ou à tout autre caractéristique qui nous distingue les un.e.s des autres. Être féministe c’est avant tout affirmer que nulle forme de domination sur les autres vivants ne doit exister.

Une essayiste du temps présent

A travers son œuvre, bell hooks passe au crible avec précision et ténacité tout ce qui fonde nos relations : ce qu’est la féminité ou la masculinité, l’importance de la sororité, la prégnance du féminisme blanc comme valeur universelle, l’orientation patriarcale des relations familiales, l’amour au cœur de nos vies quotidiennes ou son absence dans nos instances politiques. bell hooks veut voir le féminisme comme un mouvement de masse qui touche toutes les strates de la société et qui s’intéresse à toutes les formes de domination. Elle démontre à force d’arguments éminemment politiques que nous avons tous et toutes intégré les catégories de pensée du patriarcat. Elle nous invite par exemple à nous questionner sur le fait que si les féministes blanches ont lutté pour obtenir les mêmes droits que les hommes de la même catégorie, elles ont aussi laissé derrière elles toutes celles, de couleur de peau ou de classes différentes. Rien ou presque rien n’a ruisselé. Ainsi dit-elle, « seules les femmes privilégiées avaient le luxe d’imaginer qu’en travaillant hors du foyer, elles acquerraient un revenu qui leur permettrait d’être économiquement autosuffisantes. Les femmes de la classe ouvrière savaient déjà que les salaires qu’elles recevaient ne les libèreraient pas. » ([1], p. 61). Mais son propos n’est évidemment pas de monter un féminisme contre un autre. Il est au contraire englobant et nous invite à ne pas cesser la lutte, tant que dans chaque interstice de nos sociétés ne sera pas délogé la moindre trace du patriarcat : « tant qu’il [le féminisme, ndlr] ne sera pas un mouvement de masse il nous faudra d’abord tâcher de le renouveler » ([1], p. 165)

Quand on n’a que l’amour

Ce qui reste au cœur des ouvrages de bell hooks c’est avant tout l’amour. Ainsi nous dit-elle que « l’amour que l’on construit au sein d’une communauté reste avec nous où qu’on aille. » ([2]). C’est en effet lui qui guide chacun de nos actes et qui nous construit en tant qu’individu. A force d’exemples de la vie quotidienne, dans l’éducation, dans la cellule familiale, dans nos relations amicales ou amoureuses, bell hooks montre qu’en apportant plus d’intérêt mais aussi plus de légitimité à l’amour, nous construirons ensemble une société plus juste, plus sociale où le sexisme et le racisme de toute forme seront définitivement éradiqués. C’est avec espoir qu’elle nous invite à faire « preuve de courage collectif et reconnaître que le manque d’amour parcourant notre société est une blessure » ([2], p. 237)

Les paroles de bell hooks sont directes, percutantes, inspirantes. Elles nous proposent de nous déloger de nous-mêmes et de nos convictions pour nous interroger sur nos actes et nos croyances et y dénicher les restes tenaces du patriarcat. En bref, bell hooks ouvre la voie à un horizon féministe total. Merci à elle.

MC Chouchou
[Pour ma maman et pour mes filles]
Février 2024

*Pseudonyme constitué des noms de sa mère et de sa grand-mère. Elle abandonne les majuscules dans ce nom d’écrivaine car selon elle, ce n’est pas sa personne qui est importante mais son œuvre.

Les ouvrages cités sont disponibles à la librairie « Le livre en pente » (rue des Pierres-Plantées, 69001 Lyon) : [1] Tout le monde peut être féministe, éditions divergentes, 2022 pour la traduction française et [2] A propos d’amour, éditions divergentes, 2020 pour la traduction française.
Approfondir avec France culture : 15 novembre 2023 « Lire bell hooks aujourd’hui »
Lire également les poèmes de l’essayiste, écrivaine, poétesse afro-américaine, Audre Lorde traduits par Marc Uhry et Elisabeth Aumeunier et diffusés sur le zebre.info, tous les lundis.