Derrière le Rideau Orange

derriere-le-rideau-orange logoEncore au stade du tournage avant montage, The Orange Curtain est un projet de film documentaire qui stimule au-delà du raisonnable son réalisateur, Éric Chevillard. Un homme qui s’exprime instinctivement avec des images plutôt qu’avec des mots, et qui présente justement en ce moment à la Coopérative du Zèbre, une exposition de photos prises lors de ses nombreux voyages au Cambodge. Mais avant de passer derrière ce rideau (curtain), voici comment tout a commencé…

En 1985, Ariane Mnouchkine mettait en scène avec son Théâtre du Soleil , une pièce écrite par Hélène Cixous : l’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge . Une pièce qui, à travers la trajectoire de ce personnage royal très controversé, nous connecte directement avec la terrible histoire du Cambodge. Un petit pays qui aura connu successivement la colonisation française, la guerre d’Indochine, puis les affres de l’affrontement Est-Ouest, avant de devenir le théâtre d’un impensable génocide durant la dictature Khmer Rouge entre 1975 et 1979. Depuis cinq ans, cette pièce est recréée en langue khmère avec des comédiens cambodgiens de l’école Phare Ponleu Selpak (PPS) à Battambang, sous la direction de Georges Bigot et Delphine Cottu, mandatés par le Théâtre du Soleil. Un travail on ne peut plus délicat et de longue haleine, que vous pourrez bientôt apprécier in situ puisque cette tragédie (appellation occidentale contrôlée…) sera jouée fin octobre au théâtre des Célestins, dans le cadre du festival Sens Interdits .

Envoyé par Euronews il y a deux ans au Cambodge, Éric Chevillard s’est ainsi retrouvé imbriqué corps et âme dans l’aventure. « J’ai été amené à travailler à la réalisation de films courts pendant une semaine au Cambodge. Pour y faire exactement six reportages en six jours, ce qui te donne une idée de la façon de travailler à la télé… J’ai néanmoins été chaviré par les gens de ce pays et notamment par l’atmosphère si particulière de cette école du PPS à Battambang. J’ai eu envie d’y retourner et c’est ce que j’ai fait trois semaines plus tard, mais cette fois pour enfanter seulement trois minutes de film en six jours. Et puis j’y suis retourné plusieurs fois… »

Au simple ton de sa voix, on comprend rapidement qu’il a été comme aimanté par le PPS, à la fois centre social et école d’art, créé en 1986 pour les enfants d’un camp de réfugiés situé à la frontière thaïlandaise.

« J’ai bien sûr été frappé par l’histoire bouleversante que nous raconte la pièce de théâtre. D’autant que sa complexité témoigne de la situation passée et actuelle au Cambodge. Mais en commençant à m’intéresser au travail de ces comédiens (apprentis pour certains), à filmer leurs silences et parfois leurs témoignages, j’ai compris pourquoi j’étais là… L’envie de faire un film sur leur façon de se réapproprier finalement leur histoire, non sans douleur, s’est imposé à moi. »

derriere-le-rideau-orange 2Je regarde avec lui quelques images sur son PC. Un long travelling sur une voie qui ressemble à un chemin de fer de brousse. Partout ailleurs en ville des mobylettes. Puis des visages. Que j’imagine filmés dans l’antichambre d’un musée ou d’une ancienne salle de torture. Voilà que la profondeur des regards vous cause directement à l’intérieur, sans qu’il soit besoin de dire quoi que ce soit. Parce ce qu’à ce moment-là, le temps est totalement suspendu. Et il n’y a précisément rien à dire. Je dois néanmoins finir cet article comme lui devra bientôt terminer de monter son film. Vous raconter que bien sûr, je décèle dans ces visages une sorte de tristesse infinie mais aussi dans le même temps, une incroyable joie de vivre. Dans un pays à la fois sombre et coloré. Que ces hommes et ces femmes doivent aujourd’hui reconstruire. Mais comment reconstruire une culture sur du néant ? Avec la simplicité et l’énergie de comédiens qui travaillent un texte sur les cendres d’une terre brûlée, d’un désert culturel, de véritables crevasses émotionnelles, d’un pays ravagé il y a 25 ans par un génocide.

C’est pourquoi mon travail est vraiment centré sur celui de cette école, et sur la résonance hautement symbolique d’un tel projet dans le pays. Sans qu’il ne soit jamais question de « tomber dans le pathos », parce que ce n’est certainement pas ce que les comédiens ont envie de transmettre. Quant au rideau orange, c’est à la fois celui de la pièce de théâtre et la couleur qui habille les moines bouddhistes que l’on croise à chaque coin de rue« .

derriere-le-rideau-orange 3Ce sera sûrement aussi la couleur de ce documentaire qui se focalise sur la vie, après le chaos… Je suppose ainsi que le projet est désormais clarifié dans la tète d’Éric Chevillard, que le film est quasiment bouclé, et je me trompe.

« Ce sera clair quand le montage sera fini ! En la matière, Il faut constamment savoir se confronter au réel, s’autoriser à partir dans différentes directions, pour revenir ensuite au projet initial. Ne serait-ce parce que concrètement lorsque tu tournes, beaucoup de choses se passent hors champ. Mais aussi parce qu’au Cambodge, entre la parole et le non-dit, il y a un monde ! Et j’espère simplement que mes images en témoigneront. Qu’elles parleront d’elles-mêmes bien au-delà du synopsis… Nous occidentaux voulons toujours mettre des mots sur ce qui s’est passé dans ce pays. Mais quelque part, c’est un non sens absolu. Que l’on peut éventuellement ressentir en s’immergeant ici, mais qu’il est vain d’intellectualiser… Il y a une dignité incroyable chez ces gens, et il faudra du temps pour que les langues se délient« .

Sachant que les enjeux de ce travail de mémoire concernant cette histoire terrible mais inachevée, dépassent largement le simple cadre de la pièce de théâtre. Une pièce dont la représentation prévue l’hiver dernier au Cambodge, a été annulée trois jours avant… Ce qui ne semble entamer en rien l’opiniâtreté des comédiens de l’école PPS.

« C’est dans cette région du nord ouest et dans cette ville de Battambang en a particulier que tout a commencé, que la dictature des khmers rouges a eu les effets les plus dévastateurs, si tant est qu’il soit possible de mettre une échelle à la souffrance et à la destruction. J’ai juste l’intime conviction que ce n’est pas par hasard si c’est justement ici que repoussent le riz et la parole ! « .

Derrière le rideau orange. Battambang, hier capitale de la douleur, et aujourd’hui symbole d’une renaissance culturelle.

 

Laurent Z

 

 

Pour en savoir plus sur The Orange Curtain www.ericchevillard.com/
Phare Ponleu Selpak lun 28 octobre Grande Salle (Célestins) Cambodge L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge – 1ère Epoque
mar 29 et mer 30 octobre 2013 Grande Salle (Célestins) Cambodge L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge – 2e Epoque
le 8 novembre Théâtre de Vénissieux

Exposition Photo PHN#001 du 20/09/2013 au 30/10/2013 (Ouvert les jeudi et vendredi soir ou sur rdv : 06.81.01.85.17) LA COOPÉRATIVE DU ZÈBRE 22, rue Jean Baptiste Say