Les chroniques dansées de MC-Chouchou #1
Lucinda Childs au Toboggan
Lucinda Childs : minimalisme et boucles dansées
Bien installée dans mon fauteuil du Toboggan où je m’apprête à assister au spectacle de Lucinda Childs* Dance/Dance encore, je regarde avec délectation les personnes aller et venir devant moi. Le temps avant un spectacle de danse est déjà un ballet où chacun s’assoit, se relève, se re-assoit, tourne la tête de droite à gauche pour admirer la salle. Le spectacle avant le spectacle pour qui sait en profiter.
Une classe de jeunes danseuses s’avance : cheveux plaqués, chignons tirés, vissés très haut sur le crâne, jogging beige, petites doudounes, ongles faits : « wesh, elles vont où ces folles !, lance l’une d’entre elles à ses camarades montées trop haut sur les gradins. Une autre la tire par le bras « bouge ! ». Je les regarde, félines, arpenter les marches avec grâce et souplesse. Elles se posent bruyamment à leur place, sortent leur portable, échangent des amabilités.
L’ambiance s’installe.
Des murmures, des quintes de toux, des personnes qui se lèvent, enlèvent leur manteau, le posent en boule sur leurs genoux. Des gens qui se regardent, qui se sourient, heureux d’être là comme moi… Je me sens chanceuse de pouvoir admirer Dance/Dance encore de Lucinda Childs, monument de la chorégraphie contemporaine.
Première sonnerie pour annoncer le début imminent du spectacle, puis la deuxième. Peu à peu le brouhaha s’estompe. Le silence se fait dans la salle.
La lumière s’éteint. Levée de rideau.
Dance/Dance encore : comme une envie de sautiller avec les danseurs
Dance/Dance encore se compose de deux spectacles. Ouverture avec Dance encore crée par la chorégraphe à l’occasion de son invitation par l’Opéra de Lyon et pour la danseuse de ballet Noëllie Conjeaud. Une scène entièrement noire et vide accueille la danseuse, vêtue d’une robe noire et d’une petite doudoune sans manche argentée. Elle s’élance gracieuse et envahit de sa seule présence l’intégralité de l’espace. Quelques pas, quelques minutes de silence puis le piano accompagne ses mouvements. La technicité et la parfaite maîtrise de Noëllie Conjeaud poussent à l’admiration. Alors qu’elle laisse tomber sa doudoune sur le sol se dessine sous nos yeux le mouvement de ses épaules. Les jeux de lumière sur les muscles de son dos créent à eux seuls un magnifique ballet.
Le spectacle se poursuit avec Dance. Cette pièce se compose quant à elle de trois tableaux d’une vingtaine de minutes chacun : un pour six danceur.euse.s, un pour une danseuse et un pour huit danceur.euse.s.
Créée en 1979 pour la première fois, Dance caractérise la recherche minimaliste de Lucinda Childs. Toujours pas de décor. Juste des danceur.euse.s. La musique lancinante et répétitive de Philip Glass donne le rythme. Les trois premiers couples s’élancent tour à tour, en quinconce. Tous vêtus de blanc, ils traversent inlassablement la scène en répétant des motifs dansés : petits sauts, arabesques de bras et de jambes. Ils tournent sur eux-mêmes. A l’envi, ils passent et repassent guidés par les boucles musicales qui les accompagnent. Je me laisse envahir par le sentiment de répétition, mais suis éblouie par la précision de leurs gestes et de leurs pas. Au bout de quelques temps est projeté un film reproduisant au millimètre ce que les danseur.euse.s exécutent sur scène. Une parfaite cohésion se joue entre ce qui se passe sur scène et sur l’écran.
Puis tout s’arrête.
Les trois couples laissent la place à une unique danseuse. Seule au milieu de la scène, cette dernière effectue des mouvements simples et rythmés. Cette partie-là semble plus grave. Elle effectue avec précision des pas de danse saccadés et en cercle. Tantôt en live, tantôt filmée.
Puis elle est remplacée par quatre couples. Cette dernière partie signe le retour de la joie. Alors qu’au départ les duos entrent sur scène les uns après les autres, le final devient choral. Ils sautillent, bougent, tournoient tous les huit face à nous. La musique répétitive et sautillante les accompagne. Cela donne envie de se précipiter sur scène pour se joindre à eux.
Et puis, d’un coup, tous stoppent. Plus rien. Le silence se fait, l’écran se relève, la scène s’éteint. Fin.
MC-Chouchou
*Lucinda Childs en quelques mots
Lucinda Childs est une danseuse et chorégraphe américaine, née en 1940. Elle crée sa propre compagnie en 1973, la Lucinda Childs Compagny. Elle oriente très tôt sa carrière vers le mouvement artistique minimaliste – less is more – qui touche tout aussi bien la musique que la sculpture, l’art plastique ou même l’architecture avec le Bauhaus notamment.
Lucinda Childs utilise souvent des monologues dansés dans ses chorégraphies. Elle se fait connaître par ce biais en 1976 au festival d’Avignon, en solo, dans Einstein on the beach de Philip Glass mis en scène par Robert Wilson. Elle a collaboré avec de nombreux représentants de l’art minimaliste comme les plasticiens Sol LeWitt et Tadashi Kawamata pour les décors de ses spectacles ou, pour la musique, Philip Glass, John Adams ou Steve Reich.