FINANCEMENT PARTICIPATIF, LIBERTÉ ÉCONOMIQUE ET TERRORISME SONORE.

 

crowdfunding 1Le crowdfunding, qu’est ce que c’est ? Appelé par ici de façon un peu plus compréhensible « financement participatif », le crowdfunding consiste en des appels de fonds via des plateformes internet spécialisées qui donc font le lien entre d’un côté une personne, organisation, association ou société désireuse de trouver des fonds pour financer son projet et de l’autre des créanciers éventuels c’est-à-dire des internautes comme vous et moi. Pour faire encore plus simple : un Géo Trouvetou qui voudrait faire produire à grande échelle sa toute dernière invention révolutionnaire contre la faim dans le monde sans avoir à céder ses brevets au grand capitalisme industriel et agro-alimentaire peut recourir au crowdfunding. Un musicien ou un groupe qui n’arrive pas à trouver l’argent pour enregistrer son disque, le faire presser et le faire distribuer, également… Et en contrepartie de son financement, l’internaute concerné reçoit quelque chose (un disque, si on parle de musique) : le crowdfunding n’est donc pas un système de donation et, autrement dit, dans la grande majorité des cas, le crowdfunding n’est en fait qu’une version améliorée et high-tech de la souscription. Inutile de préciser que les plateformes de crowdfunding prennent leur quote-part au passage, entre 5% et 10% selon les cas. Leur rôle d’accélérateur est quand même cher payé mais, grâce notamment à l’appui des réseaux sociaux et autres ressources presque inépuisables (ahem) de l’internet, ces intermédiaires sont toujours plus efficaces et peuvent même attirer l’attention sur des projets et actions qui sans cela resteraient dans l’ombre. Du moins voilà l’argument de celles et ceux qui défendent les plateformes de crowdfunding.

Le financement participatif a donc le vent en poupe. On ne compte plus le nombre de groupes et de musiciens qui y ont recours afin d’éviter d’avoir à signer avec un label et/ou un distributeur et pour garder toute leur indépendance. Mais il existe également nombre de plateformes de crowdfunding spécialisées dans les projets économico-responsables ou écolo-responsables. D’une manière générale cette pratique détournée de financement – « détournée » parce qu’elle ne passe pas par le système bancaire classique – concerne essentiellement les projets culturels, sociaux, environnementaux, ou liés à l’économie numérique version logiciel libre, c’est-à-dire des projets où les notions de cash flow, de bénéfices et de dividendes sont reléguées au rang d’obscénités : ce qui compte c’est, au-delà de la mise en œuvre et de la réussite du projet initial, le bien commun, l’expérience partagée et l’investissement personnel au service d’une action collective.

crowdfunding 2Certes, les deux démarches peuvent paraitre diamétralement opposées mais il existe malgré tout des points communs entre le fait, par exemple, de participer à la production d’un disque de musique expérimentale et l’aide apportée à la scolarisation des enfants handicapés : si la portée humaine n’est pas la même, la démarche alternative liée mode de financement hors système indique un niveau d’implication autrement plus important. Une question d’éthique. Pour en revenir à la musique, il n’est guère étonnant que tant d’artistes indépendants voire marginaux aient recours à un système qui détourne le pouvoir de l’argent pour mieux s’en servir. Par contre il est arrive également que d’autres se servent du crowdfunding avant tout pour se faire de la publicité à moindre frais. Un quart d’heure warholien – typique de l’internet – qui ne dure que le temps de la levée de fonds.

Comme dans toutes les histoires ou presque, il y a un méchant, un ogre ou un loup aux dents longues par exemple. Et dans le cas qui nous occupe, le lobby bancaire, très inquiet du crowdfunding qu’il considère à demi-mots comme de la concurrence déloyale voire une hérésie économique, fait parfaitement l’affaire. Que des êtres humains consentants et citoyens filent de la thune à un autre pour mener à bien une action ou un projet sans passer par les banques et leur système de racket est assurément un crime impardonnable. Conséquence plus que directe de l’inquiétude du secteur bancaire : un projet de loi, via le ministère chargé des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, visera à « encadrer » le crowdfunding. Le projet n’est pas encore finalisé mais ses quelques grandes lignes témoignent déjà de la volonté de limiter le crowdfunding/financement participatif : quota de participants, plafond du financement par personne, plafond du financement total, etc. On parle même d’une obligation pour les plateformes de crowdfunding de s’immatriculer en France et donc d’avoir à répondre aux normes édictées par le code bancaire français. On comprend ce que ces limites et réglementations nouvelles pourront entrainer comme barrières contre le financement participatif : le totalitarisme économique capitaliste dominant, lui, s’en trouvera une nouvelle fois légitimé par un arsenal de lois votées contre l’intérêt général et le bien-être collectif. Sans compter que l’État pourra en plus prélever sa part au passage.

crowdfunding 3Reprenons l’exemple de la musique, même si les conséquences de telles réglementations seront encore plus néfastes pour l’action sociale, l’économie solidaire, le développement durable, la lutte contre les inégalités… Car, après tout, les groupes de musique et autres artistes rigolos n’en ont pas fondamentalement besoin, eux, de ce mode de financement alternatif et ils pourront toujours essayer de trouver la parade en reprenant à la lettre le système de la souscription via les anciennes méthodes. Mais je ne peux pas m’empêcher non plus de penser que nombre de bons groupes et musiciens auront alors encore moins de chance de se faire connaitre et de faire partager leur musique. Alors, tiens, je vais vous parler de KOUMA , power trio lyonnais de free noise/jazz-core tempétueux qui pour financer l’enregistrement et la parution de son deuxième album a lancé lui aussi une opération de type crowdfunding. Comme j’aime beaucoup ces garçons je leur ai à titre personnel envoyé un peu d’argent mais je reste persuadé, parce que l’un ne va pas sans l’autre, qu’un autre moyen d’aider ce groupe c’est aussi d’aller le voir en concert, de payer sa place voire de lui acheter un disque et donc de lui donner de l’argent directement. Non, ce n’est pas sale. Ce qui est sale c’est de transformer l’économie en voie rapide et à sens unique. Alors, pour aider les trois Kouma à enregistrer un disque encore meilleur que leur premier album, on peut également aller à la Triperie – 20 rue Imbert-Colomès, Lyon 1er – où le groupe jouera ce jeudi 17 octobre à partir de 20 heures et en compagnie des japonais un peu cinglés de Sajjanu . Et cela ne vous empêche pas non plus d’adhérer au projet de deuxième album du groupe…

 

Hazam.