Bring The NoiZe :
Une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des musiques, des groupes et leurs disques c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même.
Un peu de douceur pour finir l’année et/ou bien commencer la prochaine ? Bon. Si on se fie au seul nom d’Odessey & Oracle – référence immédiate aux Zombies – et à l’artwork du premier album de ce trio lyonnais (publié chez Carton records), on pensera avoir uniquement affaire à un groupe revivaliste friand de pop et d’enfantillages. OK pour la pop, OK pour les sixties et OK pour les monstres gentils : la mixture d’Odessey & Oracle tire tout son intérêt et son puissant attrait d’une utilisation intensive voire abusive d’éléments anachroniques à l’ère des beats digitaux et des productions ultra-compressées. Synthés kitchs et tendres, banjo et violoncelle, flutiots moyenâgeux, matrice gainsbourguienne, harmonies vocales angéliques (et principalement féminines), mélodies célestes, rares petites rythmiques et incursions electro donnent un résultat proche de l’effet que pourrait produire une bonne sieste dans un cocon ouaté et parfumé au caramel au beurre salé. D’habitude j’exècre plus que tout la musique de hippies mais avec Odessey & Oracle on dépasse largement tous les codes et toutes les époques pour se retrouver face à un objet musical lumineux et d’une délicatesse quasi céleste.
Toujours chez Carton records, voici un autre trio, partagé entre Lyon et Paris : SNAP réunit quelques musiciens que l’on a déjà entendus et vus dans des formations des plus intéressantes (IRèNE, Lunatic Toys et DDJ). Snap c’est avant tout le projet du guitariste Julien Desprez, secondé pour l’occasion par Clément Edouard (electronics) et Yann Joussein (batterie). Un projet qui distille une musique hachée, impénétrable, claustrophobe, cérébrale et multi-articulée. On pourrait alors craindre une trop grande propension à l’intellect et un hermétisme inhumain or Snap c’est avant tout une histoire de sculpture des sons et des schémas. De la matière brute – brutale – sans cesse tailladée, écorchée, raboté mais aussi rehaussée, étayée et, donc, profondément architecturée. Ecouter ce premier (court) album sans titre c’est se balader dans un labyrinthe mouvant et hérissé de pics noisy. Un disque bien plus séducteur qu’il n’en a l’air au départ, à condition bien sûr d’aimer souffrir un peu.
Restons avec Julien Desprez et son projet solo Acapulco, un nom bien exotique pour une musique qui ne l’est absolument pas – et un disque disponible encore une fois chez Carton records. Si tu as déjà lu ici ou là et sous la plume d’un chroniqueur de disques désinvolte mais passionné que Julien est l’un des guitaristes les plus aventureux et les plus électrisants de sa génération (il n’a qu’une trentaine d’années) et bien c’est totalement vrai. La preuve en est également que Noël Akchoté lui-même l’a entrainé dans l’aventure des Madrigals For Five Guitars adaptés des Quinto Libro Dei Madrigali A Cinque Voci de Carlo Gesualdo… Quant à Acapulco, voilà qui pourrait bien être la pierre philosophale d’un musicien qui aime prendre l’électricité à bras le corps et aime différencier le résultat obtenu du média utilisé. En ce sens on peut parler de recherche sonore voire de musique expérimentale, dans l’acceptation la plus noble du terme. Véritable tempête des sons et des sens en concert, Acapulco s’écoute évidemment très très fort sur disque, mais pas tous les jours non plus, il est vrai.
J’évoquais un peu plus haut le nom de Yann Joussein or il s’avère que parmi les nombreux autres groupes de ce batteur il y avait cet hilarant duo du nom d’Heretic Chaos, sorte de parodie de metal trigonométrique et de punk alterno, croisement entre Meshuggah et Bérurier Noir, si on veut. Le guitariste Richard Comte était alors le complice assumé de Yann Joussein et, à l’heure actuelle, ce même Richard Comte est l’autre guitariste, aux côtés de Julien Desprez, à suivre impérativement et de très près. Le projet principal et incandescent de ce petit gars porte lui le doux nom d’Hippie Diktat et consiste en un power trio saxophone baryton/guitare électrique/batterie octopussienne qui tire à boulets rouges et construit de nombreux points de passage entre (free) jazz et (noise) rock. Black Peplum, publié par BeCoq et Coax records, est le deuxième album d’Hippie Diktat, un album beaucoup plus massif et beaucoup plus lourd que son prédécesseur, presque metal par moment mais de ce metal qui inquiète parce qu’il nous gratouille l’occulte et sent véritablement la sueur et le sang. Longue virée dans les abysses, Angoisse pourrait ainsi être une ode à Cthulhu et ses chimères monstrueuses.
Toujours chez BeCoq mais avec l’aide de Tandori records, Kindergarten est également le deuxième album de Louis Minus XVI. Beaucoup plus jazz mais pas forcément moins sage qu’Hippie Diktat, Louis Minus XVI reflète le passionnant renouveau d’un idiome qui, en Europe, avait perdu énormément de sa spontanéité pour se réfugier soit dans la tradition stricto sensu soit dans un académisme expé ronronnant. L’électricité et le rock ne sont pas absents de la musique de Louis Minus XVI grâce à la basse vrombissante de Maxime Petit et à la batterie de Frédéric L’Homme qui assène à l’occasion de sacrées ruades. Pourtant ce deuxième album est plus calme que le précédent et surtout les deux saxophonistes (Adrien Boulez à l’alto et Jean Baptiste Rubin au ténor) choisissent le plus souvent la voie de la couleur mélodique, de la sensualité des textures et d’une luminosité rayonnante (Columbine’s Twin et ses réminiscences klezmer). Au final Kindergarten est un album d’une belle richesse et d’une variété enthousiasmante, mais non exempt d’une tension certaine. Je me demande juste ce qu’attendent ces quatre garçons pour sortir de leur Lille natal et tourner un peu partout, moi je les attends de pied ferme.
Hazam.