À cent lieues d’un art culturel souvent surfait – à force de réflexion, réifications, références et révérences -, la Biennale Hors-Normes convie les Lyonnais à découvrir – et ce, gratuitement , en off de la Biennale d’Art contemporain – une scène artistique insolite, spontanée et authentique. Classés bruts (par Dubuffet), en marge (ou outsiders, par Lucienne Peiry), ces autodidactes singuliers ou brebis galeuses des Beaux-Arts composent un panorama de courants hétéroclites, un « étang moderne » offert cet automne au regard / miroir des visiteurs – regard du public qui seul donne existence et reconnaissance aux artistes. Un art d’une « inquiétante étrangeté » (et familiarité), qui fait saillie dans une production contemporaine souvent dévitalisée, aussi consistante qu’une bulle de savon…
Depuis sept éditions, la Biennale Hors Normes fédère artistes et citoyens autour d’enjeux artistiques et sociaux. Dans sa volonté de favoriser l’accès à l’art à tous, elle convie un public large et diversifié à découvrir les œuvres d’artistes également très divers, chaque fois autour d’une thématique commune. Cette année, en écho à la Biennale « mondes flottants », elle nous plonge -clin d’oeil à Chaplin- au beau milieu de « l’étang moderne ». Un étang aux reflets kaléidoscopiques, dont l’eau, composée d’impuretés, de sédiments, d’histoires, de mouvements et de ruptures, donne vie à cet ensemble qu’est la MO-DER-NITÉ : en MOuvement, DERangeante. NE (traitant de l’Interdit). Un étang peuplé de chimères, ces créatures fantastiques malfaisantes dans la mythologie grecque, symboles de la tentation et des désirs irréalisables dans l’art médiéval, figures emblématiques de l’hybridité au cœur des représentations du monde actuel. Brouillant les frontières entre le proche et le lointain, le réel et le virtuel, le biologique et le machinique, les technologies les plus pointues, Internet ou l’arsenal high-tech de la guerre de demain, ne sont-elles pas des figures chimériques ? Et les figures de l’altérité ne nous rappellent-elles pas que nous sommes finalement tous la chimère monstrueuse de l’autre et de soi-même, attirante et repoussante à la fois ?
Sur cet étang, une écluse dialectise deux pôles de la création : désirs / désordres. Des pulsions sauvages déclinées sur plus d’une quarantaine d’événements en résonance : expositions, performances, spectacles vivants, projections, conférences, colloque sur l’art brut 2.0, rencontres… À Lyon (universités Lyon 2, Lyon 3, MAPRAA, Centre Berthelot, cinéma Comœdia, bibliothèques municipales, mairies d’arrondissement, MJC, galeries d’art, hôpitaux…), dans la Métropole (Rilleux-la-Pape, Saint-Priest, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Décines, Bron, Tassin-la-Demi-Lune) et dans la Région (Bourg-en-Bresse, Grenoble, Valence, Condrieu, Hauterives). Des artistes du monde entier y participent, venus de France, de Chine, d’Australie, des Pays-Bas, de Belgique, du Canada… Deux temps forts rythment cette édition : la chapelle de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu présente une rétrospective de l’œuvre d’Alain Bourbonnais et les objets de sa collection d’art hors-les-normes prêtés par La Fabuloserie de Dicy-sur-Yonne ; par ailleurs, « l’art génétique » de l’artiste contemporain chinois Li Shan, créateur de Chimères biologiques, utilise la manipulation génétique à des fins esthétiques et prospectives. L’exposition sera accompagnée par une table-ronde ainsi qu’une masterclass à l’université Lyon III – Jean Moulin.
Autant de chimères découvertes ou dévoilées par les images, les mots et les corps susciteront l’étonnement et l’interrogation pour célébrer l’altérité et la rencontre dans le bouillonnement fécond de l’Étang Moderne !
Marco Jéru