« Pendu dans une toile d’araignée – le ciel de l’après-guerre ». Ma mère se souvient d’une ville qui ressemble à une carte postale. Je ne l’ai jamais connue. Je ne pars pas à la recherche du paradis perdu de ma mère. Je veux parler de mon sentiment de défaite quand je marche dans les ruelles de la ville, quand j’imagine les souvenirs démolis aux rythmes des bulldozers. Peut-être que si je rassemblais ces souvenirs je pourrais sauver ce qui reste de mon amour pour elle. La ville. »
Bruits et poussières, chantiers en construction, un ciel étoilé par la multitude des pointes de grues, premières images, premières impressions, pour la plupart des personnes qui atterrissent à l’aéroport de Beiruts. Beyrouth est un immense chantier. Le paysage de grues, le bruit incessant et la poussière des travaux le rappellent à chaque instant . Les changements urbains qui traversent Beyrouth depuis la fin de la guerre (1975-1990) et la reconstruction sont violentes et fulgurantes. Les constructions traditionnelles font peu à peu place à d’immenses buildings dirigés vers la mer. Immeubles de standing, constructions à la Qatarienne, ensevelissent la mémoire de Beyrouth. Immeubles pour la plupart vides et inoccupés, le prix des loyers est tel qu’il empêche les beyrouthins d’habiter dans ces tours pharaoniques. « Beyrouth a plus été défigurée et détruite en temps de paix qu’en temps de guerre« (Save Beirut Heritage)
La « reconstruction » a détruit de façon massive des bâtiments à valeur historique qui auraient tout aussi bien pu être restaurés. Qualifié de « massacre du patrimoine historique » par l’historien et archéologue libanais Albert Naccache. Dans un passionnant article « Reconstruction et territorialisation touristique, le cas du centre-ville de Beyrouth« , Liliane Buccianti-Barakat soulève les interrogations suivantes : » Quand on connaît le rôle que le patrimoine, la mémoire des espaces jouent dans le renforcement de l’identité d’un territoire, les décideurs croyaient-ils vraiment que la destruction de 83% du patrimoine arabo-ottoman permettrait la remise sur pied de la société libanaise ? Alors que la guerre civile s’était terminée « sans vainqueurs ni vaincus » ? Que les troupes syriennes et israéliennes occupaient encore le pays ? » (extrait de beyrouth-et-les-enjeux-de-la-reconstruction)
Avec Beirut Sepia, la Libanaise Chrystèle Khodr a voulu se pencher sur la mémoire au Liban. l’artiste est partie à la recherche d’histoires de femmes qui ont traversé la guerre civile et vu leur ville et leur passé disparaitre. En grattant les façades aseptisées du nouveau centre-ville, Khodr tente de décrypter cette tendance de la société libanaise à l’oubli et à l’ensevelissement de l’Histoire.
Dans Beirut sepia, en arabe (surtitre en français), elle raconte les maisons, ce qu’elles furent avant de brûler, les disparus, les morts, comment ils ont vécu.
Beyrouth est peut-être une ville morte, mais ses habitants sont encore très vivants et regardent leur ville se transformer sous leurs yeux impuissants. Chrystèle Khodr a choisi de parler de ces gens, ces femmes qui ont tout perdu ou presque. Ce sont les histoires des habitants de Beyrouth, liées ici, afin que la mémoire de ceux qui ont disparu et le spectre des bâtiments et des maisons brûlées ne disparaissent pas dans la poussière de la reconstruction et le bruit des bulldozers.
Déjà dans son précédent spectacle en 2010 « 2007 ou comment j’ai écrasé mes enveloppes à bulles » elle nous contait l’histoire d’une femme qui écrit des lettres à des hommes qu’elle a connus, aimés et haïs entre 2005 et 2008 à Beyrouth. Lettres d’amour, de reproches, de nostalgie, de projections dans un futur flou et de tourmente dans un présent instable. Un voyage dans le monde des liaisons intimes qui sont parfois aussi fragiles que les situations politiques actuelles.
Dans le même temps et dans le cadre du festival Festival Sens Interdits se jouera la pièce de Chirine El Ansary Hoda » Jour et nuit « . Chirine a eu l’envie de travailler sur l’année de l’après révolution au Caire, avec les gens de son quartier de Wast El Baladtelle,. Comment a-t-elle été perçue par les passants et les habitants d’une seule et même rue. Les remises en questions, les déceptions et les colères, les fantasmes qu’elle suscite..
Beirut Sepia et Hoda, les 27 et 28 octobre au Théâtre des Asphodèles, 17 impasse Saint-Eusèbe – Lyon 3 et les 29 et 30 octobre au Théâtre de l’Élysée, 14 rue Basse Combalot – Lyon 7