Les Castagnettes de Carmen # 28

Barbe-bleue de Jacques Offenbach à l’Opéra de Lyon du 14 juin au 5 juillet

 

Après un déplacement aux environs du légendaire Teatro Colón de Buenos Aires — où l’on a pu assister à une Turandot à la direction (de Christian Badea) énergique mais à l’interprétation inégale —, revenons à Lyon où se donne Barbe-bleue d’Offenbach. La légèreté, coutumière lors des fins de saison de l’Opéra de Lyon, est de rigueur dans ce pastiche drolatique du conte de Perrault. L’œuvre sent son Second Empire à plein nez, ce qui signifie à la fois la garantie d’un divertissement relaxant mais aussi beaucoup de facilités, tant dans le livret que dans la musique, parfois répétitive (1) mais bien servie par la direction de Michele Spotti.

Résumons l’intrigue : Barbe-bleue (Yann Beuron) vient de se débarrasser de sa cinquième épouse et, tout en songeant déjà vaguement à la septième, charge Popolani (Christophe Gay) de recruter la sixième parmi les jeunes filles les plus vertueuses du village. Le tirage au sort désigne Boulotte (Héloïse Mas), que personne n’égale « dès qu’il s’agit de batifoler » et dont le physique avantageux s’attire l’admiration immédiate de Barbe-Bleue (« c’est un Rubens »). Mais ce dernier se lasse (très) vite de sa nouvelle compagne et convoite rapidement la fille du roi Bobeche (Christophe Mortagne), Fleurette (Jennifer Courcier), autrefois abandonnée mais retrouvée parmi les villageoises. Cette dernière est quant à elle amoureuse du prince Saphir (Carl Ghazarissian) qui s’était déguisé en paysan. Pas plus qu’il n’a exécuté les précédentes épouses de son maître, Popolani ne consent à faire mourir Boulotte qui, dans un retournement final, démasque Barbe-bleue, lequel se résigne à vivre avec elle. La « Cantate n° 22 » peut retentir dans un hyménée général puisque ce sont sept couples qui convolent in fine.

L’opéra est tout entier organisé autour du faux : la rosière est une dévergondée notoire ; Fleurette et Saphir ne sont pas paysans mais d’extraction princière ; les épouses de Barbe-bleue ne sont pas davantage mortes que les courtisans dont Bobeche a exigé l’exécution… La courtisanerie s’étale dans toute sa bassesse et le roi se réjouit de voir ses flagorneurs courbés chaque jour plus bas que la veille… Il faut bien sûr y lire une expression de l’hypocrisie de la société bourgeoise du Second Empire mais celle-ci pourrait bien, à 150 ans de distance, se retourner contre l’œuvre elle-même : la tonalité de Barbe-bleue a beau être grivoise, la pièce ne s’en achève pas moins par la célébration de sept mariages simultanés. Dommage également que soit imposé à la talentueuse Héloïse Mas un texte, aujourd’hui pénible, supposé traduire la vulgarité et l’ignorance prêtées par les librettistes aux jeunes femmes de la campagne.

Sans égaler le délire de son Roi carotte (reprogrammé la saison prochaine), la mise en scène de Laurent Pelly (appuyée par l’adaptation d’Agathe Mélinand) donne un beau dynamisme à l’ensemble, notamment par la subtile coordination et la mobilité constante des interprètes. Les décors de Chantal Thomas accentuent les contrastes (la cour de ferme, le salon princier, le tombeau des épouses de Barbe-bleue) tout apportant une légère touche critique (via des couvertures géantes de presse people). La lecture de l’œuvre ainsi proposée parvient à instaurer une distance avec son contexte originel suffisante pour qu’on trouve plaisir à ce qui reste une grosse farce. Qu’il parvienne à nous faire apprécier un plat aussi gras par temps de canicule est la preuve du talent de Laurent Pelly.

Carmen S.

1. Pas au sens de Terry Riley (accueilli l’automne dernier au même Opéra de Lyon), hélas.

 

© Stofleth