Avis à mon exécuteur — R. Slocombe

avis-a-mon-executeur-romain 1« Je baissai la tête, accablé. Que représentait-elle désormais, l’époque exaltante où mon « frère » et moi, sous les plis du drapeau rouge, étions à la fois des diables et des dieux ? A quoi avions-nous abouti ? Etions-nous encore aujourd’hui du côté des innocents, ou de celui des bourreaux ?  » (page 339)

Dans une période où l’on revient facilement sur les années 30, on a peut-être trop souvent tendance à mettre de côté le stalinisme. Romain Slocombe est là pour nous le rappeler. Avec froideur et précision, il décrit l’insoutenable cruauté des staliniens, et la complicité avec un modèle voisin, le nazisme. Il n’est pas inutile de rappeler qu’une grande partie des intellectuels français était aveugle, bernée par la barbarie communiste, avec Louis Aragon en grand gourou du « petit père des peuples », « le grand chef de la Révolution Mondiale ». Gide, et d’autres se sont bien trouvés seuls.

Bienvenue dans le monde de la Tchéka, du GPU et du NKVD ! Romain Slocombe déchire le voile du « paradis communiste » : Un texte froid, tranchant, cynique, où l’on voit cette machine inhumaine détruire toute opposition des démocrates, en URSS, puis en Espagne, d’abord, et dans toute l’Europe, ensuite. Les méthodes ne sont pas nouvelles : délations, condamnations, rafles, purges, tortures, déportations, assassinats…. Des alliances se nouent, que l’on pourrait croire contre nature, avec l’extrême droite et les anciens ennemis d’hier. La Révolution d’octobre se transforme en cauchemar, broyant ses propres fondateurs, puis ses propres exécutants. Les chasseurs deviennent gibiers sans protester, souvent pour sauver leur famille ou leurs proches qui seront pourtant exécutés.

Dans une interview parue dans leslecturesdeleo., Slocombe nous décrit la genèse de son roman : « Il y a deux ans environ j’ai commencé à m’intéresser à l’espionnage soviétique de cette période de l’entre-deux guerre, en préparant l’écriture de mon roman précédent, Première Station avant l’abattoir (éditions du Seuil, 2013) — librement inspiré d’un épisode de la vie de mon grand-père, l’historien et journaliste politique anglais George Slocombe, dont j’avais appris qu’il aurait fait de l’espionnage pour l’URSS dans les années 1920, depuis son poste de correspondant à Paris du quotidien de gauche le London Daily Herald. J’ai commencé à lire énormément d’ouvrages sur la question, et je retrouvais souvent mentionnée, mais en un seul paragraphe ou une note de bas de page, la mystérieuse mort de l’agent communiste d’origine polonaise Walter Krivitsky, retrouvé “suicidé” d’une balle dans la tête, sur le lit d’une chambre d’hôtel de Washington en février 1941. Krivitsky avait fait défection trois ans plus tôt et annoncé à l’avance la signature du pacte germano-soviétique. Tout comme Trotsky, il était sur la liste noire de Staline. Le sujet du film Triple agent d’Eric Rohmer, à propos de l’enlèvement à Paris en 1937 du général monarchiste russe Evgueni Miller par les services soviétiques, m’a également fasciné. Je me suis alors souvenu d’un autre film, celui-là de Jean-Louis Comolli, L’Ombre rouge (1981) avec Claude Brasseur, Nathalie Baye et Jacques Dutronc, sont des agents communistes faisant du trafic d’armes pour les républicains espagnols et finissant traqués par leurs commanditaires russes. Toutes ces affaires sont liées, et en approfondissant le sujet je me suis rendu compte qu’il y avait là une histoire extraordinaire à raconter. »

avis-a-mon-executeur-romain 2Staline, ex-agent provocateur de la police tsariste, allié d’Hitler, bourreau des républicains espagnols, et n’hésitant pas à voler l’or de la Banque d’Espagne ! Voila le secret qu’emporte avec lui l’agent soviétique Victor Krebnitsky lors de sa fuite aux États-Unis. Une pièce maîtresse : le dossier de l’Okranna (ancienne police impériale), qui désignerait Staline, dès 1906, comme un agent provocateur au service de la police du tsar. Témoin « privilégié » des dérives de la politique stalinienne, juif idéaliste, entré dans les services secrets par idéologie, il se transforme peu à peu en liquidateur, au service de la folie destructrice et paranoïaque de Staline. Le « général Krebnitsky » est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel aux États-Unis où il résidait déjà depuis quelques années. Un suicide !

Il n’est pas alors question de théories complotistes, mais seulement de l’expression policière d’un état totalitaire sous la coupe d’un demi-fou paranoïaque. Nous plongeons dans l’horreur de la politique, à la façon d’Orwell. Mais il reste ce personnage singulier, juif polonais dont « les convictions authentiques sont, jour après jour, laminées par la tyrannie  » .

Vaste fresque aux allures de thriller, le récit est conçu comme un roman d’espionnage, avec des scènes inventées, mais crédibles, et d’autres qui sont absolument authentiques, comme la réunion très tendue avec les trotskystes à Paris, chez l’avocat Gérard Rosenthal (avocat parisien) peu de temps avant la mort de Léon Sédov et de son père Léon Trotsky. La peur règne en maître. Qui est l’agent du NKVD ? Tout le monde s’épie, l’ennemi est présent mais qui est le traître… À lire en fin d’ouvrage, l’excellente bibliographie où Slocombe dévoile ses sources, y compris celles du FBI pour les documents déclassifiés. Étrange monde ou les membres du NKVD arrivés en Espagne sont surtout là pour régler leur compte aux activistes du POUM et aux anarchistes plutôt que pour faire la guerre aux fascistes. De même, à Paris, l’espionnage soviétique se sert des cercles russes blancs. Allez comprendre…

 » Même si mon livre a un aspect polar, c’est d’abord un roman moral, sur l’engagement et les responsabilités que l’on a envers l’action politique « , Slocombe

 

Franck du Zèbre (web mixeur)

 

Romain Slocombe, Avis à mon exécuteur, Robert Laffont. Interview de Romain Slocombe par Bernard Strainchamps (21 août 2014) http://fr.feedbooks.com/interview/405/je-voulais-b%C3%A2tir-une-sorte-de-panorama-de-l-histoire-secr%C3%A8te-des-ann%C3%A9es-1930