Sur un pas de navaja
La ballade de la solitude : 31 rue Vandenbranden à l’Opéra de Lyon
De petites lumières en fond de scène, deux caravanes délabrées sur le côté qui encadrent un espace vide, de la neige, du froid, du vent et, en fond de scène, un immense ciel gris, très nuageux. Dans ce décor de bout du monde, entre un Bagdad café version pôle nord et un tableau d’Edward Hooper, apparaissent progressivement des hommes ou femmes, tour à tour emmitouflés ou dévêtus. Tantôt voyageurs, migrants, passants, habitants ou famille, les corps se touchent, s’embrassent, luttent ou se repoussent, dans une esthétique corporelle où le style hyper réaliste de Peeping Tom est bien reconnaissable.
31 rue Vandenbranden est une des pièces qui a fait la gloire du collectif belge. Créée en 2009 par le duo de chorégraphes Gabriela Carrizo et Franck Chartier, l’œuvre s’appelle alors 32 rue Vandenbranden. Elle sera reprise en 2013 pour l’Opéra de Göteborg sous le titre de 33 rue Vandenbranden, avant de l’être une troisième fois près de dix ans plus tard pour le ballet de l’Opéra de Lyon, sous le nom cette fois de 31 rue Vandenbranden.
Inaugurer ainsi la 18ème Biennale de la Danse aurait pu être une gageure, tant les danseurs du ballet de l’opéra de Lyon sont plus habitués aux entrechats sur pointes qu’à la dislocation. Avec cette re-création de Peeping Tom, c’est bien d’une toute autre danse dont il s’agit, bien éloignée des canons du néoclassique : corps déboités, déformés, où la performance est plus dans la répétition des chutes que dans la perfection des pirouettes, où les pas de deux servent l’expression de figures difformes, quand ce n’est pas animales. Les danseurs du ballet de Lyon se sont prêtés au jeu avec envie : leurs corps ne servent plus l’illusion de l’harmonie et la performance du beau mais expriment les désirs triviaux, les peurs, les cauchemars, l’absurde du quotidien et, surtout, la solitude des uns et des autres. Une nouvelle fois avec 31 rue Vandenbranden, Peeping Tom nous entraine dans un univers qui est un peu plus que de la danse, un peu plus que du théâtre, en nous immergeant sans filtres dans une photographie sensible de notre monde contemporain.
Marius Navaja
© Michel Cavalca