La lyonnaise Brigitte Giraud est en lice pour le Goncourt 2022 avec Vivre Vite, son onzième roman.
J’ai lu Vivre Vite quasiment à sa parution mais j’avais depuis laissé sa chronique en stand by tant son propos m’avait bouleversé. Tant j’avais ressenti viscéralement comme une proximité intellectuelle avec cette histoire de deuil impossible, d’un point de vue à la fois personnel et géographique. Via Carte de Séjour, Jean Moulin, Lou Reed et la Croix Rousse. J’ai alors imaginé que prendre du recul serait salutaire. Que transposer ma propre histoire sur celle de Brigitte Giraud n’avait aucun intérêt ni aucun sens. Quand bien même j’avais parfois le sentiment de trop bien la comprendre en la lisant. Étant précisé que je ne la connais pas, même si nous avons quelques amis lyonnais en commun.
« Comment change-t-on une attitude raisonnable, prévisible, que l’on peut nommer adulte, en une attitude transgressive et fantasque. Qu’est-ce qui fait de soi un petit bourgeois à un moment, qui contracte un prêt immobilier à la banque, un bon père de famille, et un punk à un autre, prêt à en découdre, à tout saloper. »
Le genre de questionnement qui à l’instar d’un deuil, est susceptible de vous accompagner une vie durant. À se demander de surcroit constamment « si » on a bien fait les choses et « si » on avait fait autrement, que ce serait-il passé ? Etc.
« la litanie des « si » qui m’a obsédée pendant toutes ces années. Et qui a fait de mon existence une réalité au conditionnel passé. »
Des « si » ainsi déclinés par Brigitte Giraud en autant de chapitres. En autant de moments arrachés au passé et disséqués quasiment jusqu’à l’obsession. Mais sûrement pas la rédemption. Ce qui me fait penser aujourd’hui que ce livre est à la fois tragique comme un authentique chemin de croix et lumineux comme un souffle de vie, ancré dans présent malgré tout.
Aujourd’hui mercredi 26 octobre, Vivre Vite se retrouve même dans la short list du Goncourt ! Et si je trouve cela amplement mérité, j’avoue également que ça ma rassure de savoir que ce récit a manifestement touché de l’intérieur nombre de lecteurs – trices avant et après moi. Le genre de livre qu’on lit d’une traite et qui vous cause au plus profond. D’abord parce qu’il est formidablement bien écrit. Peut-être ensuite parce que son titre me rappelle l’urgence du punk rock combinée à celle d’écrire. De dire les choses intensément, avant que tout soit oublié. Avant que les souvenirs de l’être aimé finissent par s’estomper. Vivre Vite comme une injonction de se réaliser au présent, alors que le passé vous a laissé des traces indélébiles, mais que demain sera un autre jour.
« … ta chute a entraîné toutes les manières de tomber. Toutes les façons de se relever. »
Et l’autrice de se relever maintes fois pleine de doutes et de renoncements, à la recherche d’un autrefois forcément perdu. D’un être disparu. Bientôt d’un autre soi. Mais se relever quoi qu’il en soit. Face à « ces lames de fond qu’on a pas vu venir, qui enflent et viennent vous engloutir quand vous avez le dos tourné. » Se relever en prenant le pari d’une sincérité non feinte, qui exhale de toutes les pages de ce livre.
Je ne sais si Brigitte Giraud l’a envisagé comme cela, mais il me semble percevoir dans son écriture un acte de résistance. En tête-à-tête avec le temps qui passe. Pour elle qui se rêvait autrefois lieutenante de Jean Moulin.
« Ça fait vingt ans et je dois me résoudre à rendre les armes. »
J’ai l’impression que vous pouvez madame. Tant votre livre me paraît témoigner de courage et d’une profonde humanité.
Laurent Zine
Vivre Vite de Brigitte Giraud
Flammarion, 206 pages, 20€