Oui, tu as sûrement remarqué, si tu es un lecteur plus ou moins fidèle et assidu du Zèbre, que je suis devenu plutôt silencieux depuis quelques semaines. Ce n’est pas que je n’ai plus rien du tout à te raconter – bien au contraire, je pourrais continuer à te parler de musique(s) et je pourrais bien sûr chroniquer tous ces disques qu’en ce moment j’écoute avec avidité – mais je n’en ai pas vraiment envie non plus. La raison de ce manque de motivation est très simple : je déteste l’été. Et les étés dotés de grandes messes sportives encore plus. Et je crois que, pendant cette période, ce que je déteste encore plus que les garçons qui mettent des tongs et les hippies qui portent des vêtements en lin, c’est l’amnésie générale du vacancier sûr de son pouvoir d’achat sursitaire, prêt à râler contre toute atteinte à son droit de consommer et qui oublie que ce sont des luttes sociales d’ampleur qui lui permettent aujourd’hui de pouvoir s’étaler de tout son long sur une plage au lieu de se poser des questions sur l’organisation économique et sociale du monde dans lequel il vit.
J’avais tout de même pensé, puisque l’été c’est la période des festivals de musique plus ou moins inintéressants, te raconter pourquoi je ne supporte pas les giga-concerts, les gros festivals et autres rassemblements de moutons et pourquoi je ne vais pas dans des lieux où on a le choix entre regarder et écouter un groupe de loin (tout en tentant de suivre ce qui ce passe sur des écrans géants disposés de chaque côté de la scène) ou regarder et écouter un groupe de près mais coincé à quinze mètres de la scène par des barrières et une armada d’agents de sécurité et écrasé par les mouvements trépidants d’une foule en plein délire grégaire. J’avais également cette idée de te raconter le tout premier concert de ma petite vie : j’avais même pas quinze ans et j’avais menti à ma mère pour avoir le droit d’aller voir Iron Maiden à l’espace Balard, Paris, un beau jour d’octobre 1984, c’était pour le désormais fameux World Slavery Tour. J’avais prétendu y aller accompagné par un copain de lycée ainsi que par son père en guise de chaperon/garde du corps. Bien évidemment la supercherie de l’alibi paternel avait été découverte – mais, fort heureusement, après le concert – et les mois qui avaient suivi ce bref moment de liberté avaient été un pur enfer familial (pour mon pote aussi, puisqu’il avait proféré le même mensonge que moi mais dans l’autre sens).
C’était bien d’avoir quinze ans et ce concert démesuré de new wave of british heavy metal (comme on disait à l’époque) m’avait permis de passer d’un âge à un autre, découvrant enfin sur scène un groupe dont j’avais longtemps adoré la musique mais dont je commençais aussi sérieusement à me lasser, comprenant définitivement que les concerts avec quelques milliers de personnes dans le public, ce n’est vraiment pas pour moi. Il y a bien sûr eu des exceptions. Comme ce concert de Jesus Lizard en juillet 1996 lors du festival Rock au Maximum, à Clermont Ferrand. Je me rappelle très bien de cette soirée et de cette nuit. Au programme, un groupe de fusion pitoyable comme il y en avait tellement à l’époque (Dub War, avec un chanteur se partageant entre phrasé rap et vocalise à la Bruce Dickinson – oui, le chanteur d’Iron Maiden…), un groupe de rap pourtant bon sur disques mais ridicule sur scène à cause de deux danseurs échappés de Flash Dance (Credit To The Nation), un chanteur indé US insipide en pleine ascension (Beck, alors en tournée promo de son album Oddelay) puis… tard dans la nuit, alors que nous n’étions plus que quelques centaines, la déferlante Jesus Lizard. Un concert du feu de dieu, un David Yow au sommet de sa démesure éthylique et constamment plongé dans le public, une set-list incroyable réunissant les meilleurs titres du dernier album du groupe en date (Shot) ainsi qu’un best-of exhaustif et parfait de tous ses albums précédents, un public au taquet, une ambiance survolté, l’un des meilleurs concerts de ma vie de spectateur.
Mais je vais arrêter de t’emmerder avec mes souvenirs à la con. Et je vais arrêter de t’affirmer qu’il n’y a rien à foutre à Lyon (et partout en France) pendant les mois de juillet-août, mis à part agiter des symboles nationaux et guerriers dans des stades ou polluer les zones touristiques. Par exemple il semble bien que le Grrrnd Zero commence à entrevoir le bout du tunnel en ce qui concerne ses démêlés politico-administratifs – pour mémoire et rappel des faits : www.lezebre.info/grrrnd-zero.html. Mais on n’est jamais sûr de rien, ici comme ailleurs. Et le collectif a donc décidé d’organiser un grand concert de soutien le samedi 2 aout, afin de mettre un peu plus de chances de son côté et surtout pour ramasser davantage de sous pour pouvoir continuer les travaux dans ses nouveaux locaux de l’avenue de Bohlen, à Vaulx-en-Velin. A l’heure où tu liras ces lignes, la programmation de cet évènement n’est pas encore connue ni dévoilée mais tu peux d’ores et déjà commencer à te tenir au courant et réserver ta place en consultant le site de Grrrnd Zero, ici : www.grrrndzero.org.
Enfin, je ne résiste pas à l’envie de te parler de ce qui, à mes yeux, représente ce qu’un festival de musique devrait toujours être : je veux parler du Freakshow à Gigors dans la Drôme (pas très loin de Crest) et dont l’édition 2014 se déroulera les 29 et 30 aout. Du bon esprit (le site internet du festival précise : « merci de laisser vos chiens et vos hippies à la maison : tout véhicule contenant des chiens se verra refuser l’entrée sur le site ») ; un cadre idyllique avec une capacité d’accueil à échelle humaine et loin des formats consuméristes et industriels de la plupart des rassemblements estivaux ; des tarifs presque raisonnables c’est-à-dire 20 €uros par soir et 35 pour les deux jours, camping gratuit…) ; et surtout une programmation intelligente c’est-à-dire riche, variée, culottée mais pas bégueule. Les adeptes du pointu et d’un bon goût certain seront ravis avec des noms tels que Jessica93, Daikiri, Pord, Headwar, Ten Volt Shock, Movie Star Junkies et Coilguns. Et même les hipsters pourront y trouver leur compte avec la venue de Black Bug, The Horrorist, T.I.T.S, The Intelligence et surtout Thee Oh Sees, le « meilleur groupe du monde » de John Dwyer. Et comme je ne suis pas du genre rancunier, je te signale qu’il y aura également des DJ sets dont celui de l’équipe de Tous En Tong, association de malfaiteurs qui malgré un nom ridiculement estival – voir ci-dessus – réunit une belle brochette d’éternels adolescents prêts à en découdre. Toutes les infos pratiques et utiles sont à retrouver sur le site du festival : www.freakshow-festival.com.
Je te souhaite malgré tout un bon été, et peut-être que l’on se retrouvera à la rentrée pour reparler de lutte des classes et d’obscurantisme musical.