Alors que les cours dispensés gratuitement y ont repris le 4 novembre dernier, l’Université Populaire de Lyon fête dignement cette année son dixième anniversaire, en invitant constamment tout un chacun à décrypter, confronter et partager les savoirs. Agissant peut-être ainsi comme un véritable anti-brouillard, face à l’hiver des esprits qui caractérise notre époque.
Entretien avec Françoise Bressat-Blum, cofondatrice et présidente de l’UniPop.
Il y a dix ans, la genèse de l’UniPop…
L’idée de créer une Université Populaire à Lyon remonte pltutôt à 2003, alors que mon compagnon s’était remis aux études et que je cherchais moi-même à suivre des cours de formation continue en dehors de ma spécialité (Littérature). Nous nous sommes ainsi heurtés à toutes sortes de difficultés en termes de coût, d’horaires (en dehors des heures de travail…), de choix des matières etc. Et il se trouve que dans le même temps, j’avais découvert le projet de Michel Onfray qui avait relancé une Université Populaire (l’appellation UNIPOP désigne seulement Lyon) à Caen dès 2002. Cela a simplement fait tilt dans mon esprit lorsque je me suis demandé pourquoi nous n’avions pas ça à Lyon ?! En posant comme principes de base la gratuité des cours et le bénévolat des intervenants, j’ai aussitôt prospecté des personnes susceptibles de m’aider – via leurs propres réseaux – à mener à bien ce projet. En commençant par Philippe Corcuff (ndlr : cofondateur de l’UniPop), qui m’a lui-même mis en contact avec une bonne partie de son répertoire. J’ai eu rapidement des réponses positives à mes sollicitations et j’ai adressé dans la foulée un dossier de subventions à la mairie de Lyon, qui a de suite décidé de nous soutenir. Un projet avec, au départ, cinq candidats enseignants : Philippe Corcuff (politologue), Sophie Wahnich (historienne), Tanguy Wuillème (philosophe), Jean-Pierre Bobillot (professeur de lettres) et Emmanuel Dockès (juriste) ; tous prêts à donner gratuitement entre 10 et 12 cours par an, en rapport avec une thématique annuelle, préalablement définie. Pour l’anecdote, nous avons ensuite mis un an avant de trouver une salle et/ou un lieu disponible en début de soirée pour lancer l’UniPop… en janvier 2005 au lyçée la Martinière Diderot. L’Université Populaire a d’ailleurs d’emblée attiré beaucoup de monde, sûrement parce qu’elle répondait à de véritables attentes.
À l’instar de Michel Onfray, vous faites référence aux universités populaires du 19e siècle et du début du 20e.
Des universités populaires essentiellement d’inspiration communiste, reposant sur l’idée de « porter la bonne parole au peuple » (entre guillemets, j’insiste), d’aider ainsi la classe ouvrière de l’époque à s’émanciper, alors que la culture dans son ensemble était plutôt réservée à une certaine classe sociale. Si les choses ont bien évidemment évolué depuis, le TNP – avec lequel nous nous sommes rapidement associés – avait justement monté en 2006 une exposition des affiches des Universités Populaires dans les années ‘3O à l’occasion du 1er printemps des universités populaires lancé à Lyon et accueilli au TNP ; alors que les filles prenaient des cours de couture et les garçons de mécanique…
Historiquement parlant, la vocation populaire de l’UniPop est ainsi indéniable. Philippe Corcuff évoque néanmoins aujourd’hui une « alliance conflictuelle de l’universitaire et du populaire ». Mais encore ?
Je dirais avant toute chose que nous soutenons l’Université traditionnelle, publique et ouverte à tous. Université dans laquelle, bon nombre d’entre nous sont totalement investis. Il n’en demeure pas moins que nous pensons qu’un certain public n’ira pas à l’université pour des raisons bien sûr financières, mais ayant également à voir avec une sorte d’élitisme qui dispose des barrières culturelles parfois difficiles à franchir. Il n’y a donc pas vraiment « conflit »… Juste une volonté de notre part d’ouvrir des lieux non scolaires ou universitaires, au partage des savoirs.
Ainsi évoquez-vous un « espace d’enseignement alternatif » : pouvez-vous précisez ?
Encore une fois, nous n’avons pas la prétention de réinventer l’éducation nationale… Nous avons simplement dans l’idée de générer des espaces dans lesquels l’enseignement ne se passe pas de la même manière, et ne serait-ce parce que nous n’avons pas les mêmes contraintes, concernant le contenu des cours, l’obtention de diplômes etc. Alternatif déjà de part la gratuité et via la formule 1h de cours + 1h de débat, à laquelle les gens se sont progressivement habitués. Alternatif aussi dans les formes, puisque nous essayons toutes sortes de choses : tables rondes, ateliers, conférences avec plusieurs intervenants etc. Et alternatif dans les lieux, puisque nous travaillons également avec des cinémas, des salles de concert etc.
L’enseignement de l’UniPop est ainsi mobile et toujours remis en cause ; l’idée étant d’essayer constamment d’autres façons de faire.
Ok pour la forme, mais concernant le contenu : l’enseignement est-il également « alternatif » ?
J’imagine que sur le contenu, c’est relativement lisible, déjà concernant la « couleur politique »… Et lors des premières années de l’UniPop, je dois dire que nous passions (à tort et à raison) pour une bande de gauchistes radicaux ! Cela dit, et même si certains points de vue sont clairement affirmés, l’idée est bien d’ouvrir le débat, de dépasser les clivages. Et non pas de promouvoir des batailles rangées. Reste qu’il n’y a pas beaucoup de profs de droite qui proposent de donner des cours gratuitement…
Philippe Corcuff parle d’un « partage plus interactif des savoirs critiques, élaborés à l’Université ou dans les mouvements sociaux » : là encore, pouvez-vous précisez ?
En confrontant simplement le savoir des intervenants avec celui d’un public adulte, souvent expérimenté à différents points de vue ; cela permet d’avancer, de réfléchir et parfois de revoir ses positions. D’élaborer ainsi ensemble une pensée critique. Sachant que ce public n’est sûrement pas dans un « rapport dominants – dominés » avec le corps enseignant, qu’il est souvent prêt à vous amener dans vos derniers retranchements, et qu’il ne sera pas « sanctionné » par l’obtention (ou non) d’un diplôme en fin de saison. Philippe Corcuff a ainsi vraiment pris goût à cet échange constant avec ce « public en or » comme il le nomme, et a récemment monté une université populaire chez lui à Nîmes !
Si l’on considère avec lui que « la gauche est dans le brouillard » (in Les années ’30 reviennent, Éditions Textuel, 2014) ; n’est-ce pas alors le rôle de l’UniPop de la sortir de là ?!
C’est difficile et sûrement immodeste d’avoir cette ambition-là, sachant que notre public est de plus beaucoup plus éclectique qu’avant, également en terme de couleur politique. On peut néanmoins et éventuellement amener les gens à avoir de nouveau confiance en leurs propres pensées, voire à retrouver un idéal politique et/ou philosophique, et pourquoi pas à regagner de la combativité, alors que la « mode actuelle » serait plutôt de répéter inlassablement que plus rien ne servirait à rien… Mais pour revenir à notre nécessaire humilité ; cela fait 10 ans que je met en ligne tous les cours de l’UniPop : j’ai certes appris énormément de choses mais je n’ai pas encore trouvé la solution qui me servira demain matin à tous nous sortir du brouillard…
La solution non, mais la méthode – de décloisonnement du discours – peut-être ?
(…)
Et si vous deviez dresser un bilan ?
Tout n’a pas été parfait et nous avons aussi essuyé des échecs mais dans l’ensemble, l’UniPop est depuis ses débuts suivie par un public exponentiel. Elle a connu un vrai second souffle avec le soutien que lui a procuré le TNP ! Aujourd’hui, ce sont même les intervenants qui sont demandeurs et nous en avons actuellement 25 pour cette année 2014-15. Sans parler de l’élargissement de la palette aux sociologues, aux scientifiques, aux poètes etc. J’ai ainsi le sentiment qu’il se passe véritablement quelque chose à l’UniPop. Que l’aventure ne fait que commencer…
Ainsi avez-vous inauguré cette 10e saison avec une conférence d’ Edwy Plenel (www.unipoplyon.fr), relative à trois sujets plutôt passionnants : « Médias indépendants et participatifs, esprit des universités populaires et avenir de la démocratie ». Qu’en avez-vous retenu ?!
J’ai surtout retenu qu’Edwy Plenel est vraiment quelqu’un de positif, qu’il croit effectivement au pouvoir de la parole, de l’information et du partage des savoirs. Qu’il croit « au populaire face au populisme ». Et si l’on veut sauver la démocratie qui me semble bien fatiguée en ce moment, j’estime que nous avons besoin de gens comme lui !
Alors que l’on assiste depuis quelques années à une certaine cristallisation du débat sur les questions morales (émanant de certains partis politiques, voire des médias), vous avez choisi comme thématique cette année : « le corps a ses raisons ».
Est-ce là déjà une esquisse de réponse à ce débat qui semble agiter la société française ? Et comment va-t-elle être déclinée ?
C’est évident que d’ouvrir une discussion sur le corps a quelque chose à voir avec une actualité parfois brûlante. Et si le thème est plutôt général, il faut sûrement aller chercher du coté des intitulés des cours, des idées à contre courant. Par exemple « L’Ode au gras » dont va parler Laura Foulquier en histoire de l’art, « La Prostitution, quel est le problème ? » qui va intéresser Lilian Mathieu en sociologie, ou bien « Le Genre dans tous ses états », thème des conférences de Claude Gautier en philosophie… Considérant tout ce qui a été dit dernièrement à tort et à travers sur le genre, sur le corps de la femme, sur le mariage pour tous, j’ai le sentiment que nous allons donner matière à… En ce sens, l’UniPop procure évidemment un propos bien différent du discours ambiant.
Vous donnez également la parole à d’autres entités comme la Fondation Abbé Pierre, ou investissez d’autres lieux tels le Comédia ou le Périscope : avec quels objectifs ? Et comment imaginez-vous l’évolution de l’UniPop ?
L’objectif a à voir avec un décloisonnement tant culturel qu’intellectuel. Et pour sortir la pensée de ses rigidités voire de ses carcans, il faut aussi absolument croiser les publics et les disciplines. Cela veut par exemple dire que des politologues peuvent être amenés à débattre de tel ou tel film avec des cinéphiles. De plus, avoir sur le même thème chaque année à l’UniPop, une approche scientifique, une approche littéraire et une approche artistique, est devenu une marque de fabrique. J’imagine ainsi que croiser les éclairages est forcément enrichissant pour tout le monde. Quant à l’avenir, considérant que nous avons sans arrêt à répondre à toutes sortes de propositions – comme par exemple aller donner des cours en prison –, je pense sincèrement que nous ne pouvons qu’avancer, en ouvrant progressivement l’UniPop à d’autres publics. Ce qui me semble quoi qu’il en soit indispensable.