Le temps de la sieste
Photographie caniculaire de la périphérie urbaine.
« Burn out », première exposition personnelle d’Amandine Mohamed-Delaporte, est visible à la galerie Bloo jusqu’au 3 juin.
Le soleil d’août inonde de sa lumière la ville. La chaleur étouffe la présence humaine, la rend discrète, rare au zénith de l’après-midi. La périphérie de Lyon, dans le silence estival, se charge d’un éclat aveuglant. Dans ce décor transitoire, les passerelles, le béton, les grandes places construites sur dalles côtoient les jardins suspendus, oasis précieux de verdure. Autour les blocs d’habitations des années 70, barres blanches et éclatantes abritent et protègent de leur mieux. Le temps de la sieste.
La photographe Amandine Mohamed-Delaporte choisit ce moment, caniculaire, pour rejoindre la périphérie lyonnaise, flâner vers ces paysages urbains qui la fascinent par leur plasticité. La brûlure du bitume, les espaces vides, les passerelles nues et cramées. L’artiste recherche des contrastes forts, un trop plein de lumière au centre d’une place non protégée du soleil, face aux immeubles en déclin.
Lieux transitoires, indéterminés. Difficile d’identifier Lyon dans les clichés argentiques tant l’anonymat architectural est criant. Utopie de constructions entre l’habitation, le travail, le déplacement humain de ces années là. Amandine prend le parti d’évoquer cette population urbaine sans la représenter, dans le vide des places et des esplanades. Lieux déserts nés du manque d’ombre et de fraîcheur en plein mois d’août.
L’artiste présente pour sa première exposition personnelle, « Burn Out » à la galerie Bloo, une installation photographique née de flâneries estivales. Une observation de la périphérie lyonnaise qu’elle développe depuis plus de trois ans. Le processus photographique faisant partie intégrante de son travail. L’artiste me confie son étonnement constant face à la lumière. Élément qui déclenche la nécessité de faire une image.
L’installation se compose de plusieurs îlots. Les couleurs bleu azur du ciel et des dalles de l’air de repos, l’absence de présence humaine convoquent l’insulaire malgré le manque d’eau de ces paysages secs et désolés. Les impressions sur plexis fumé (matériau très utilisé dans le bâtiment dans les années 70) se révèlent grâce au néon posé au sol derrière elles. Différents panneaux composent une proposition créée par l’agencement de plusieurs photographies. L’image est ainsi morcelée, vue par endroit par transparence.
Une réflexion sur la construction de l’image, de la prise de vue au procédé argentique. Le négatif de la pellicule s’altère par la chaleur trop élevée. Les clichés n’en sont que surexposés. L’artiste prend ces accidents et défauts comme matériau et partie intégrante de la recherche artistique. C’est avec une attention aiguisée qu’elle observe les réactions aléatoires du médium photographique face à ce manque d’air, ce trop plein de lumière.
Afin de pousser le processus jusqu’au bout, ces images sont imprimées sur du papier de différentes qualités et exposées à la lumière du soleil durant quatre mois. Mises sous plastique et maintenues au sol par des pierres, elles attendent leur altération prochaine. Amandine s’en remet aux éléments naturels afin d’utiliser le procédé de l’argentique, la lumière, contre la photographie même. En résulte une image altérée, craquelée, effacée en grande partie. Cela, l’artiste va à nouveau le photographier. Cette mise en abîme nous est présentée via un carrousel de diapositives et des caissons lumineux encore une fois posés au sol. La lumière blanche révèle l’image et renvoie tant aux rayons du soleil brûlant le papier qu’à la lumière passant au travers du négatif lors du développement. Partant de la fragilité du cliché altéré, celui-ci est rendu pérenne grâce à une impression sur verre synthétique anti UV. Que reste t-il des images, comment les archiver, comment sauver la représentation d’un temps et d’un lieu donnés ?
Didi-Huberman écrit dans Génie du non-lieu : « L’image, mieux que toute autre chose, probablement, manifeste cet état de survivance qui n’appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait, mais à un genre d’état aussi paradoxal que celui des spectres qui, sans relâche, mettent du dedans notre mémoire en mouvement. L’image serait à penser comme une cendre vivante.»
Amandine recherche ainsi ce qui survit à la photographie argentique dans l’image même et sa manipulation ; ce qui survit au paysage urbain quand celui-ci tend à disparaître.
Emma Marion
« Burn out ».
Exposition d’Amandine Mohamed-Delaporte
visible du jeudi au samedi de 15h00 à 19h00 jusqu’au 3 juin 2017
à la Galerie Bloo (10 bis rue de Cuire. Lyon 4e)
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