Le tango, « une pensée triste qui se danse » ou danse de l’âme et du cœur ?

 

Le tango, « une pensée triste qui se danse » ou danse de l’âme et du cœur ?

Le tango peut-il vraiment se raconter ?

Ne doit-on pas plutôt le vivre avec son corps, ses sens et son cœur ?

(c) Mao Mendivelso

La compagnie L’Explose qui n’est jamais là où on l’attend revient au tango avec « Tu nombre me sabe a tango ». Son chorégraphe Tino Fernández qui s’était déjà frotté au tango, dans les années 2000, avec « Sé que volverás », ose, cette fois-ci, un spectacle plus musical qui parle de la passion amoureuse et des relations de couples, mais aussi nous replonge dans l’histoire du tango : « Je veux aller au plus profond des entrailles pour que les jambes entrelacées du couple racontent ce qu’il y a réellement à l’intérieur », rappelle-t-il.

Sur le plateau six danseurs, deux chanteurs et le quintette Leopoldo Federico font revivre le tango argentin des années 50, celui des bas-fonds de Buenos Aires qui réunit et fait danser, jusqu’au bout de la nuit, les vilains garçons et les dames du soir. Le parti-pris du chorégraphe installé à Bogotá est clairement contemporain et s’intéresse plus « aux impulsions qui meuvent les corps qu’aux pas et aux mouvements ». Ce sont d’ailleurs quatre danseuses contemporaines de la compagnie qui mènent la danse, acoquinées à deux tangueros reconnus à Bogotá (Iván Ovale et Carlos Julio Ramirez). Fines chaussures à brides et talons hauts, tenues chic et sexy – parce que le tango, souvent de noir vêtu, symbolise à la fois la révolte, l’anarchie, la dignité, l’élégance, la séduction ou encore le mystère, port altier et corps abandonnés. Parce que « le tango c’est joindre deux cœurs ensemble et n’en sentir qu’un seul qui bat ». Parce que le tango est une musique charnelle qui fait vibrer, frissonner, pleurer, rêver, aimer ; c’est encore une « pensée triste qui se danse » (Enrique Santos Discépolo, compositeur) en silence. Ne dit-on pas que le tango ressasse à l’infini les mêmes thèmes obsessionnels : l’exil, le temps qui passe, la séparation, les femmes, la solitude, l’alcool, l’amour de Buenos Aires.

« Tu nombre me sabe a tango » démarre sur un plateau vide comme habité de fantômes d’une autre époque. Ici et là des chaises recouvertes comme épargnées par la poussière des ans et de grandes tentures blanches en fond de scène. Une femme déambule comme perdue, allure classieuse d’une belle mystérieuse des années 50. Elle attend… on ne sait quoi. La suite réveille un orchestre caché en fond de scène, un vrai quintette avec bandonéon, contrebasse, violon et piano et ses deux chanteurs prêts à tout pour nous troubler et nous donner des fourmis dans les jambes.

(c) Mao Mendivelso

La pièce (vue à la Maison de la Danse) d’une petite heure alterne parties musicales jouées live, projections d’images volées en noir et blanc ou de vieux films et tableaux dansés (à deux, à quatre, à six, à huit, entre femmes ou pas) ou marchés (la marche est l’une des bases essentielles du tango). Les danseurs s’amusent donc à détourner les règles et codes du tango pour décortiquer la danse et la réinventer. Tino Fernández cherche surtout à montrer l’énergie et l’émotion qui habitent les corps des danseurs, l’important, ici, n’étant pas la danse en elle-même.

(c) Mao Mendivelso

L’émotion ? Je suis restée sur ma faim parce que l’essence même du tango (danser avec « sentimiento ») est parfois absente, cette sensualité latente et cet abandon lascif propres aux grands danseurs de tango. Je me souviens de certaines pièces où l’on se sent voyeur tellement la connexion entre les danseurs est forte, avec cette sensation de voler des instants qui ne nous appartiennent pas. Tel n’est pas le propos de la pièce qui balance, de toute manière, entre contemporain et tango et qui se joue des codes tellement stylisés du tango. Après c’est enjoué, ludique et certaines saynètes sont bien troussées (telle ce duo coquin entre le chanteur Edwin Roa et sa danseuse des plus mutines qui cherche à le séduire par tous les moyens, y compris en lui secouant son fessier de la plus suggestive des manières !).

Opération de rattrapage, c’est possible, la pièce tourne en Rhône-Alpes.

Anne Huguet

 

Espace Malraux Chambéry, les 21 et 22 novembre

Théâtre de Villefranche, le 24 novembre

Théâtre du parc à Andrézieux-Bouthéon, le 2 décembre

Comédie de Valence, les 4 et 5 décembre