Radio Canut

radio-canut 1Lorsque j’ai débarqué à Lyon après avoir fui le domicile familial, l’une de mes premières préoccupations a été de trouver une radio associative où j’aurais pu faire des émissions sur la musique (quoi d’autre ?). Quelques connaissances m’ayant formellement déconseillé RADIO CANUT (une radio de gauchistes « arriérés », « extrémistes » et complètement « intolérants » – il faut préciser que François Mitterrand venait d’être réélu triomphalement et que certains avaient encore la faiblesse d’y croire) – j’ai été irrémédiablement attiré par cet endroit à la réputation aussi obscure que sous-estimée. J’y suis resté près de douze ans. Là j’ai rencontré tellement de gens et découvert tellement de nouvelles choses que je peux sans hésitation affirmer que Canut a été pour moi une école de la vie – même si ce ne fut pas la seule, évidemment.

Aujourd’hui, Radio Canut, « la plus rebelle des radios », est toujours située au même endroit à Lyon, rue du Sergent Blandan, en bas des pentes de la Croix-Rousse et à deux pas de la place Sathonay. C’est bien la nostalgie qui à chaque fois me gagne lorsque je repasse à proximité ; je me revoie encore dévalant les pentes avec mon sac de disques, je repense à mon amateurisme qui parfois me faisait faire des plantades techniques à faire hurler tous les techniciens son de la bande FM ; je repense à tant de choses, en fait… Il faut dire aussi que rien n’a changé à radio Canut : sa fréquence – 102.2 Mhz – est toujours la même depuis des lustres et ce malgré les récurrentes foires d’empoigne lors du renouvellement des fréquences attribuées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ; le matériel est toujours aussi simple voire rudimentaire ; les murs sont toujours recouverts d’affiches et de tracts et, en dépit des années, quelques vieilles connaissances ou amis y font encore régulièrement des émissions. Justement, aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec la première personne de Canut à qui j’ai parlé : je m’étais enfin décidé à débarquer – c’était un dimanche après-midi – pour proposer mes services et Laurent qui à ce moment là animait son émission habituelle m’avait répondu qu’il ne pouvait rien faire pour moi mais que je pouvais revenir le mardi suivant à 18 heures, lorsque la personne s’occupant de la programmation serait présente.

radio-canut 2Si j’interviewe Laurent maintenant – il a lui-même été responsable de la programmation puis président de l’association Radio Canut puis son trésorier – c’est parce que Radio Canut ne va pas très bien. Laurent m’explique : « Canut existe depuis 1977, à l’époque c’était évidemment une radio pirate et révolutionnaire et cela en fait l’une des plus vieilles radios associative encore en activité en France. Avec la libéralisation [sic] de la bande FM, Canut a définitivement pris son essor mais a toujours refusé tout compromis commercial » [ndr : alors que tant d’autres radios ont sauté à pieds joints dedans, avec le résultat que l’on sait]. « Donc pas de pub à l’antenne. De même la radio n’a jamais eu de permanents et ne tourne qu’avec des bénévoles et tu en sais quelque chose » [OK, je l’avoue : j’ai également été trésorier de Radio Canut]. « Tout ça pour dire que la radio fonctionne essentiellement grâce au Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (80 %) et aux cotisations des animateurs bénévoles.

Le budget total est de 50 000 €uros, ce qui est très peu, finalement. Le problème est que la subvention du FSER n’augmente plus depuis quelques années alors que la plupart de nos charges restent incompressibles voire augmentent doucement mais sûrement. Notre loyer a lui augmenté de 20 % il y a peu, suite à la dénonciation de notre bail par le propriétaire. Nous n’avons pas pu faire grand-chose : soit on refusait et on n’avait plus de local du jour au lendemain, soit on acceptait mais on se retrouvait presque à sec. Nous avons du accepter ce diktat la mort dans l’âme. Pour résumer, nos dépenses principales sont constituées par le loyer et les charges (25 %) et nos frais de diffusion via notre prestataire de service TDF (60 %). Il nous reste à peu près 10 % pour vivre ».

radio-canut 3Voilà une situation, si on y réfléchit bien et toutes proportions gardées, que l’on peut mettre en parallèle avec les fins de mois plus que difficiles de tous ces ménages condamnés à manger des pâtes à l’huile une fois leur loyer payé et le réservoir de la bagnole rempli. Laurent poursuit : « Nous avons malheureusement constaté qu’il devenait de plus en plus difficile pour Canut de boucler son budget et que s’il survenait quoi que ce soit entrainant une dépense exceptionnelle, la radio deviendrait insolvable. Mais nous voulons continuer avec notre mode de fonctionnement et nos idées. Pour des raisons idéologiques évidentes nous essayons le plus possible de nous affranchir de toutes contraintes extérieures et liées au système donc nous n’utilisons plus que des logiciels libres, par exemple. Dans le même ordre d’idée, le but pour nous est désormais de diminuer au maximum nos contraintes financières donc nos charges, tout ça en supprimant notre loyer ou en limitant l’impact de notre prestataire de diffusion ». La solution finalement retenue est-elle également la moins difficile à mettre en œuvre ? En effet, pour la première fois depuis qu’elle s’est installée rue de Sergent Blandan en 1985, Radio Canut songe à devenir propriétaire d’un local… ce qui implique de réunir une somme coquette et que bien évidemment la radio ne possède pas.

Radio Canut se lance donc dans une campagne d’appel aux dons : « pour l’instant nous n’en sommes qu’à la première phase, c’est-à-dire que nous contactons tous les gens que nous connaissons, dont nous pensons qu’ils peuvent nous soutenir et qui pourraient défendre notre cas. Il y a des milliers de personnes qui sont passées par Radio Canut, y compris des gens célèbres [ahem] comme un certain délégué général du Festival de Cannes et dont le papa, alors employé d’EDF, a été l’un des cofondateurs de la radio » [gros, gros rires – et je vous jure que cette histoire est vraie]. « Nous comptons déjà sur cette base d’anciens animateurs et militants et nous réfléchissons toujours sur la suite à donner à cet appel à dons, sur les évènements et campagnes à organiser, etc ». Lorsque je pose la question de solutions alternatives, virer définitivement TDF ou devenir une web radio par exemple, les réponses fusent : « Non ! TDF est très cher mais pour l’instant nous assure également une qualité de diffusion que nous ne pourrions obtenir par nous-mêmes donc nous continuons avec eux parce que c’est un moindre mal. Quant à devenir uniquement une web radio, nous sommes contre : ce que nous voulons, c’est continuer à produire et à diffuser des émissions en direct, nous ne voulons pas devenir une sorte de menu radiophonique où chacun pourrait choisir comme dans un restaurant en self-service. Nous aimons vraiment cette idée qu’un auditeur branche son récepteur radio sur Canut et y découvre un programme qu’il n’attendait pas forcément. Nous ne sommes pas contre les nouvelles technologies, nous avons un site web avec des blogs et du streaming mais pour nous ce n’est qu’un complément à l’activité radiophonique de base ».

radio-canut logoEnfin, lorsque j’évoque le problème du passage à la radio numérique et des coûts monstrueux que cela induirait pour une petite structure associative telle que Radio Canut, la réponse se fait rassurante : « ce n’est plus vraiment à l’ordre du jour et le projet semble en stand-by du côté du gouvernement comme des principaux acteurs radiophoniques même si une directive européenne préconise la suppression de la bande FM pour 2017 » [rires]. « Donc on ne se préoccupe pas trop d’un éventuel passage au numérique : pour nous l’objectif c’est vraiment de sauver la radio, de la pérenniser en nous débarrassant de notre loyer et de laisser aux animateurs bénévoles après nous un outil viable et opérationnel. Nous nous sommes fixés un délai de deux ans pour atteindre notre but. Au delà il n’est pas sûr que la radio puisse survivre encore très longtemps ».

Tous les dons sont à envoyer par chèque à l’ordre de Radio Canut, BP 1101, 69201 Lyon cedex 01.

 

Hazam.