La question du jour est un peu inutile, j’en conviens : à quoi reconnait-on un disque important ? Bon, OK, je précise que quand je dis « important » c’est d’un point de vue strictement personnel, pas de celui de l’histoire universelle ni de celui du panthéon de la musique. Donc je recommence : comment je fais pour reconnaitre un disque, ahem, important ? Bah… Tu me vois venir de loin cher lecteur, tu sais bien que je vais encore te faire le coup de la passion dévorante, de l’épiderme qui trésaille à chaque tour de microsillon, de l’érection mélomaniaque et, de mon côté, je devine sans peine que tu penses déjà – mais à tort – que tu seras déçu et que tu ne comprendras pas pourquoi je me consume ainsi lorsque tu écouteras (peut-être) par toi-même Things That Are Better Left Unspoken, le tout premier album PYLONE dont il va être question maintenant.
Et moi non plus, je ne comprends pas vraiment. Ou plutôt je ne comprends par tout à fait. Mais je m’en fous et je me contente de constater. J’ai déjà – ailleurs et dans une autre vie, internet c’est vraiment très pratique pour ça, on peut y avoir plein de vies différentes voire même des existences simultanées – je disais donc que j’ai déjà chroniqué Things That Are Better Left Unspoken et qu’au moment de la sortie du disque, au début de l’été 2013, je m’étais longuement roulé par terre de bonheur, oui c’est la manifestation la plus évidente et directe que j’ai trouvée pour faire part de mon sentiment de satisfaction extrême, comme un chien fébrile qui se roule dans une charogne odorante tout en piétinant avec délice les pâquerettes et autres pissenlits alentour. Et aujourd’hui, si je réagis toujours de la même façon à l’écoute de ce disque c’est que l’effet qu’il me procure est en tous points identique voire même encore plus saisissant – voilà en fait ce que j’ai tenté de définir un peu plus haut par « disque important ». J’ajouterais enfin que Things That Are Better Left Unspoken est un disque bien plus inattendu qu’il n’en à l’air.
Pylone, originaire du côté de Toulouse, joue en terre étrangère et surtout utilise un vocabulaire plus que banalisé par certains groupes américains. Par exemple Supernova débute l’album avec une ligne de basse sans nulle doute inspirée par Jesus Lizard (au hasard : Here Comes Dudley). Mais résumons un peu tout ça : les rythmiques sont sèches, presque arides ; les lignes de basse sont donc très en avant et carénées à l’aluminium radioactif ; la guitare au son plutôt clair découpe pourtant sans hésitation nos chairs à l’aide de petites incisions chirurgicales. Du connu, oui c’est vrai… en plus de Jesus Lizard, la musique de Pylone peut également, dans ses moments les plus furieux, évoquer Shellac et toute l’école Steve Albini/Chicago sound des années 90.
Seulement voilà, des moments furieux, on n’en trouve pas tant que ça sur Things That Are Better Left Unspoken . Le rythme général du disque est même plutôt lent, tirant parfois en direction du recroquevillé et de l’automnal. Des explosions soniques il y en a mais – même si on sait pertinemment qu’elles vont finir par arriver – on ne les attend pas non plus. Et surtout elles ne sont pas conclusives car ce qui compte chez Pylone c’est le chemin et surtout la façon dont il est parcouru. Un autre exemple ? Sur Le Combattant Pylone nous sert une introduction que n’aurait pas renié, cette fois, le Sonic Youth du début des années 2000. Or, comme chez les new-yorkais, la musique de Pylone ne laisse finalement que peu de place au prévisible : on ne sait jamais comment va évoluer une composition et cet effet est renforcé par le fait qu’il n’y a ici aucun recours à la traditionnelle structure du couplet/refrain.
Bien sûr, cher lecteur, je te parle de rock voire même de noise-rock mais, tu l’auras compris, Pylone est sans nulle doute possible un groupe qui fait surtout ce qu’il veut des poncifs et autres traditions héritées des grands anciens. Et c’est encore plus vrai en ce qui concerne le chant. En complète contradiction avec son titre (« ces choses meilleures lorsqu’elles sont tues »), voilà un album qui déborde de mots. Et il déborde d’autant plus qu’il est assez étrange ce chant, avec un timbre de voix difficilement cernable mais également une diction qui tend vers les spoken words (White Dress évoque le travail du poète/performer Pete Simonelli au sein de son groupe Enablers).
Pylone raconte ainsi beaucoup de choses, le chant est omniprésent et pour trois de ses compositions le groupe a emprunté des textes à Henry Chinaski qui comme chacun le sait – devrait le savoir ? – est un pseudo du grand Charles Bukowski. Things That Are Better Left Unspoken n’est pourtant pas un disque littéraire ou arty. Ce chant, ces flots (ces flows ?) de mots font partie du même ensemble que les autres instruments de musique et le nourrissent tout autant. Là encore tout l’intérêt n’est pas tant dans la finalité que dans les moyens employés. J’en veux pour preuve les trop rares moments où Julien, le chanteur, s’exprime en français : bien sûr que l’on comprend mais en même temps on écoute tout autre chose, captivés par les jeux de couleurs des mots et des sons.
Things That Are Better Left Unspoken est toujours disponible auprès des labels qui l’ont coproduit : Bruisson , Gabu Asso , Katatak records et Nothing To The Table . Surtout, Pylone effectuera bientôt une poignée de dates en compagnie de 400 The Cat, groupe dont je vous ai déjà causé : le 27 février c’est au Raymond Bar de Clermont Ferrand que cela se passe (avec en plus les nîmois de Shub et les américains de Stnnng, une sacrée affiche soit dit en passant) ; le 28 les deux groupes seront à Grenoble (au Road Café) et le 1er mars tout ce petit monde se retrouvera à Lyon, au bar des Capucins dans le 1er arrondissement, date sur laquelle se rajoute One Lick Less, encore un groupe ardemment défendu dans ces colonnes.
Pylone et 400 The Cat en concert le 27 février au Raymond Bar à Clermont Ferrand ; Le 28 février au Road Café à Grenoble et le 1er mars au bar des Capucins.