Lerangdhonneur DJouets, c’est… comment dire… un regard d’enfant planté dans une carrure d’ours, tendance Grizzli. Une bière en guise de pot de miel, je le retrouve dans un bar de la X-Rousse, un de ses terrains de jeu préférés, pour évoquer son travail artistique : les ours en plâtre, dont une bonne partie proposée à l’adoption. Ainsi formulé, cela peut surprendre. Mais, au-delà de ces ours-trop-mignons qui envoient aux passants un hypnotique message subliminal – expliquant que certains aient pu prendre des risques inconsidérés pour les récupérer –, se noue une relation toute particulière de lerangdhonneur à l’altérité du nomade urbain. Once upon a time…
Où l’on apprend que les ours sont (aussi) des espions !
L’ours naît en 2004 des mains habiles de lerangdhonneur qui façonne alors son projet de fin d’étude à la faculté d’arts plastiques de Nîmes. Une petite armée de 500 ours est installée sur le sol en damier d’une salle d’exposition, sous l’œil vigilant de l’ours-roi, couronné d’or. « À la fin de l’exposition, je me suis retrouvé avec deux caisses de pommes remplies d’ours ! » Qu’en faire ? Il commence par les coller dans la rue pour s’apercevoir que les gens les décollent et les emmènent. Autant les donner. « Mais mon intention, dès le départ, c’était de les coller comme une armée de caméras qui nous regarderait mener notre vie. Si les gens les prennent, alors la caméra se retrouve chez eux. Bien sûr, elle ne me diffuse aucune image, mais elle est là, témoin muet de leur vie ». On connaît le conte… Boucle d’Or s’introduit chez les trois ours, y prend ses aises avant de s’endormir dans le lit de bébé ours. Notre histoire raconte la douce vengeance de l’ourson : c’est lui qui à son tour entre dans les foyers de milliers de Boucle d’Or.
Instagram et les Boucle d’Or
Mais l’histoire ne se clôt pas au moment où la porte se referme sur l’ourson. « Avec Instagram, j’ai pu mettre mes ours en scène, expliquer le principe de l’adoption, et démultiplier la possibilité de parler à tout le monde partout où j’en laissais ». Or, en 2015, lerangdhonneur ouvre, son atelier, la « nourserie », qui lui permet de donner une autre échelle à son travail. Les ours se reproduisent comme des lapins et partent en balade partout sur la planète. On pourrait se dire que c’est de là que vient le nom de lerangdhonneur, comme un écho à ses ours randonneurs. Pas du tout, contrairement à l’amour du jeu de mots qui reste la meilleure piste pour élucider ce mystère… Reste que les ours se font tirer le portrait à différents endroits du globe avant de rejoindre, parfois, une hospitalière famille de Boucle d’Or. Pour bien prendre la mesure des choses, précisons que près de 3000 d’entre eux ont été lâchés rien qu’en 2018. On en a trouvé sur le Piton de la fournaise, face à la statue de la liberté ou perché sur un îlot à demi noyé au large des côtes calédoniennes ! Heureusement, Instagram permet à toutes les Boucle d’Or de la planète de donner à lerangdhonneur des nouvelles de ses enfants. « Ce media social m’a permis d’échanger avec les gens, d’avoir un retour sur la démarche, de rencontrer d’autres street artistes, ce qui m’a conduit à engager plein de collaborations ».
lerangdhonneur c’est vous !
« Je me suis aperçu que l’ours était un medium. C’est un support à travers lequel on peut s’exprimer, moi comme d’autres, que ce soient des artistes ou non ». Les passants jouent avec eux, les changent de place, les relâchent dans d’autres parties du monde, les mettent en situation et leur font conter une histoire ou encore les customisent… Bref, une interaction prend forme grâce à laquelle chacun peut être investi d’une parcelle de lerangdhonneur : la street bear familly était née.
« Je n’avais pas prévu que ces collab’ prennent une telle dimension ! » Ce qui est vrai avec les passants ou les amateurs de street art, l’est tout autant avec les autres artistes. Adesla, Line, RUOMA, Spirale, GDcarte, Mado et bien d’autres ont paré les ours de leurs propres œuvres, donnant naissance à toute une tribu d’ours « spéciaux » qui déclenchent d’irrépressibles spasmes d’envie chez les amateurs.
Toutes ces collaboration ne sont cependant pas à adopter, comme d’ailleurs aucun des ours collés, qui ont vocation à rester dans la rue.
« Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux »
Dès lors que le promeneur sait qu’il peut croiser un ours à adopter, s’allume dans son crâne une autre attention à l’espace urbain. Plus vigilant, plus observateur, plus impatient aussi, car en lui s’insinue l’attente du shoot : « Et si jamais, derrière l’angle de cette rue… » L’ours de notre histoire, n’est qu’un lointain cousin de Baloo. Rond et doux, certes. Concentré de mignonnitude, aussi. Mais il peut rendre accro. Abandonnant leur famille, les chasseurs se mettent en route dès que pointe l’indice d’une localisation. Précieux, mon Précieux ! Et voilà la ville transformée en un immense terrain de chasse. « J’ai un rapport particulier à l’espace urbain. Aux jeux, aux chasses au trésor… L’ours, il faut le chercher mais pour le trouver, il faut autant d’astuce que de chance. Il faut que les gens acceptent de se laisser embarquer avec moi. Pendant près d’un an, chaque matin, je postais une photo d’un ours, toujours sur le même principe, une photo de l’ours, une photo de son environnement et une de ce qu’il regarde. Ça lançait la chasse ! Les gens disaient où ils en étaient de leur recherche, leur joie quand ils l’avaient, leur déception quand il leur passait sous le nez… » Tout cela ajoute une fonction ludique à la ville qui devient d’autant plus une scène que lerangdhonneur s’y adapte et joue avec ses espaces, ses formes ou ses couleurs.
Hacker l’institution
La rue est l’essence du street art et l’habitat naturel de ces ours. Mais il leur arrive de s’inviter au musée sans pour autant trahir l’esprit de la rue. lerangdhonneur dépose discrètement un ours qui veille sur l’institution, comme celui surplombant l’espace de la galerie Spacejunk ou celui installé au Musée de Nîmes. « Il est là-bas depuis des années, perché sur une poutrelle en plein milieu du musée, et quand la conservatrice l’a remarqué, un an après, elle a dit : « Il a dû être déposé-là à la construction, personne n’y touche ! » » Une façon de hacker l’espace institutionnel, de la même façon qu’il hacke l’espace urbain. En d’autres occasions, c’est sur invitation que lerangdhonneur entre dans l’institution artistique, comme à Montpellier ou à Sète. « Pour l’exposition de Sète, j’ai voulu garder un lien avec la rue. J’ai disposé 500 ours dans une pièce mais tous les jours un complice ôtait un ours de l’installation pour le remplacer par sa photo. L’original, lui, était déposé dans un coin de la ville, à l’adoption ». La rue et le musée sont poreux, l’œuvre ne se laisse pas fossiliser, elle déborde de son cadre.
Les verres sont vides, il est temps de rentrer. Avec un air de conspirateur, lerangdhonneur me confie que d’autres bêtes vont faire leur apparition. Il est question de canards, collés dans une flaque de ciment coulée dans les trous de trottoirs. Attention les orteils ! Il faudra être vigilant ! Je quitte le bar, lerangdhonneur sur mes talons. Quand je me retourne, j’ai à peine le temps de surprendre son geste étonnement vif que… hop… un ours trône sur la rambarde de l’escalier. Il finira au bar. Y’a pire.
Instagram : @lerangdhonneur / Facebook : Djouets Lerangdhonneur
Photos : Graphull (exceptée la photo de l’exposition de Sète, fournie par lerangdhonneur)