Lasco est un graffeur atypique ! Pas plus issu de la culture graff que du monde de l’art, il a pourtant un style bien à lui. Les animaux préhistoriques qu’il peint sur les murs suffisent à l’identifier instantanément. En nous, l’enfant fasciné de préhistoire s’éveille et s’émeut de croiser un cheval ou un bison furtivement sorti de sa grotte. Entremêlant l’art d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi science, art et histoire, Lasco fait des liens entre différents univers.

Des sciences à l’art

Pour mieux comprendre le personnage, il faut se tourner du côté de la culture scientifique. Bac S, études universitaires, poste dans un institut de recherche scientifique… parcours singulier d’un artiste qui l’est tout autant. « Même si ce n’est pas mon milieu, j’ai toujours aimé l’art. Plus jeune, j’ai beaucoup trainé avec des gens qui étaient à l’école de dessin Émile Cohl, j’ai fait des rencontres à Lyon et Bordeaux où il y a de belles scènes graff, je me suis fait une culture au fil des rencontres et en me baladant… ». Pour lui qui a eu plusieurs occasions de pénétrer dans des grottes autrefois habitées par nos ancêtres préhistoriques, une idée germe : vulgariser l’art pariétal grâce au graff. Au-delà du lien art – science qui lui tient à cœur, le projet un peu badass porte son quota d’adrénaline. « Je suis quelqu’un de plutôt tranquille, pas trop capuche et mode furtif en nocturne, et ce projet artistique me faisait sortir de ma zone de confort. Ça me plaisait, j’ai eu envie d’aller au bout ». En 2016, montée Joséphin Soulary, il pose un premier graff au pochoir. Un cheval de Przewalski, inspiré d’une peinture faite il y a 18 000 ans dans la grotte de Lascaux. En scred, il retourne modifier la signature, qu’il ne trouvait pas assez aboutie à son goût, Lasco était né. « J’ai eu la bonne surprise de voir que les gens étaient intéressés par le concept qui les ramène aux premiers hommes et que ce que je faisais était bien accueilli ». Depuis, il propose au tout venant des passants « ces trésors millénaires », comme les fameux chevaux ponctués de la grotte de Pech Merle, peints il y a 27 000 ans dans le Lot. Ainsi cet art des cavernes, dont la plupart des œuvres sont interdites au public, est-il rendu accessible grâce à un art « de vandale ». Une ironie qui n’empêche pas les institutions de mesurer le potentiel du travail de Lasco pour la transmission de l’art préhistorique. En témoigne l’invitation du Laténium, le plus grand musée archéologique de Suisse, qui lui a proposé de peindre sur ses murs à l’occasion de la Nuit des musées ! Une reconnaissance pour Lasco, dont l’ambition n’est pas seulement de graffer les animaux sur les murs des rues, mais aussi d’expliquer où et quand ont vécu ceux qui les ont peints, quelles techniques ils utilisaient, etc., autant d’informations qu’il poste sur son compte Instagram.

Cheval et vache, Laténium. Photo Lasco

De l’art d’hier à celui d’aujourd’hui

Les premières traces d’art pariétal – celui qui orne les parois – datent de 40 000 ans et sont encore visibles dans plus de 350 grottes dans le monde. Bisons, chevaux, rhinocéros, fauves, mammouths… nos ancêtres ont stylisé leurs formes désormais profondément inscrites dans l’imaginaire collectif, où sont rangés pêle-mêle Rahan, Fred Pierrafeu et le Cap’tain Caverne. Notre relation à ce mystérieux temps des origines est nécessairement complexe et le fils des âges farouches reste insaisissable. « Mais avec l’art, on touche quelque chose de puissant qui nous relie à nos origines. Quand on est face à un dessin fait il y a 20 000 ans, on se dit : “il y avait ici une femme ou un homme qui a dessiné un cheval. Il n’y avait pas de langage, mais il me parle à travers ce dessin“. Il y a une émotion très forte dans cet art qui atteste d’une forme de continuité entre eux et nous. » Et le lien ne s’arrête pas là ! « 20 000 ans après eux, pour dessiner un cheval, on peut utiliser le même style de traits et ça fonctionne, il y a quelque chose d’intemporel ! ». Les techniques diffèrent, mais demeure une certaine continuité entre un art ancien des pigments qui ornait les parois des grottes et l’art urbain du spray qui s’empare des murs des villes.

S’inspirer pour témoigner 

L’art de Lasco n’est ni un art du passé ni un art de copiste. L’idée n’est pas de créer des répliques parfaites mais d’emprunter des formes anciennes pour les adapter et les transposer dans un environnement contemporain urbain. L’emplacement ? Il le choisit avec soin, lors de repérages qui peuvent être longs. Lasco ne cherche pas la visibilité à tout prix et s’il s’efforce de ne pas « déranger les particuliers », il est en quête de l’endroit « idéal ». Il travaille sur le volume des surfaces, leurs couleurs et leur aspect, sélectionne ces vieux murs qui donnent l’impression d’avoir vécu déjà bien avant nous. Il faut que le lieu lui parle et qu’une fois le pochoir posé il « puisse évoquer une paroi de grotte, ça provoque une décharge émotionnelle. J’aime aussi qu’une touche urbaine, comme une descente de chéneau ou une borne à incendie, vienne rappeler qu’on est ici et maintenant. L’anachronisme me plait beaucoup ». Les œuvres sont ainsi ramenées à leur présent. Elles sont un trait d’union entre hier et aujourd’hui. « L’œuvre est une forme qui prend sens dans un contexte historique donné ». En cela, elle résonne toujours différemment selon le regard de celui qu’elle interroge. « Les premières mains négatives que j’ai posées ont été diversement perçues. Certains ont vu le dessin originel, comme on peut le voir à La Cueva de las Manos (la grotte des mains) en Argentine, d’autres ont évoqué une œuvre antiraciste, d’autres encore la fraternité… ». L’art de Lasco est ainsi un art qui témoigne de notre époque comme l’art pariétal témoignait de la sienne. « Dès que l’homme a pu poser son empreinte quelque part et dessiner, il l’a fait. Quand je pose des aurochs, des chevaux, des ours, etc., je montre ce qu’ils nous disaient avoir autour d’eux. Je montre aussi ce qui progressivement disparait autour de nous. Je tends d’ailleurs à faire évoluer mon street art préhistorique en faisant des clins d’œil de références du passé à notre époque et inversement. »

Le travail de Lasco est ainsi un art de l’écho ; il permet d’entendre les voix d’un passé lointain, celles d’hommes dont on ne sait presque rien si ce n’est qu’ils peignaient.

 

Des grottes préhistoriques à nos plus audacieuses architectures,
Arts visuels et Sciences s’entremêlent sur nos murs.
De l’extraction de pigments organiques ou minéraux du sol,
Jusqu’aux molécules de synthèse piégées dans nos aérosols,
Peintres de Cro-Magnon et Graffeurs Sapiens ont embrassé les mêmes fortunes,
Cavités naturelles ou parois urbaines comme lieu d’expression commune.
Laissant une trace pour leurs contemporains et les générations futures,
Ephémère, éternelle, monochrome, colorée, chef-d’œuvre ou bien rature.
Alliant connaissances et intuition, combinant observation et imagination,
Invitant à la réflexion, un haussement de sourcil, un sourire, une émotion.
Si le blase a remplacé le carbone 14 pour dater l’époque,
Que les millénaires ont fait disparaître les aurochs,
L’anachronisme comme libre gardien de la mémoire,
Art pariétal ou bien vandale depuis la préhistoire.

Lasco, poème initialement publié dans Les cris des murs, Adèle Alberge, éditions du Poutan, 2018.

Texte Gus / Crédit photo Lasco et Graphull