Discours ? Pour sûr, c’est un discours, admit Zeipp avec bonne humeur. Mais c’est aussi un discours quand le juge dit : ’Pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive, et que Dieu ait pitié de votre âme. Quantité de choses sont des discours, mais ça ne les empêche pas toujours d’être réelles. » Dashiell Hammett, Le complice (The Assistant Murderer), 1926.
Les professionnels de la politique nous apparaissent souvent à la conquête de « segments du marché électoral », aidés en cela par des « conseillers en communication » traitant la politique sur le mode du « marketing ». Pour certains aujourd’hui à droite, l’électorat du FN se présente comme un tel « segment de marché » ouvert à « la concurrence » de leurs « entreprises » présidentielles.
« Nous savons que la troisième guerre mondiale est déclarée (…) nous ne pouvons pas continuer à assister impuissants à l’islamisation progressive de la société française », assène Philippe de Villiers sur TF1 le 16 juillet 2005. Le 11 septembre (symboliquement ?) , il en rajoute une couche en appelant, lors de l’Université d’été de son Mouvement pour la France, à « stopper l’islamisation progressive de la société française« . Dans ce cas, l’islamophobie est directe, basée sur une vision diabolisante de l’ensemble des musulmans, amalgamés aux « islamistes » et aux « terroristes ».
Nicolas Sarkozy ne semble pas vouloir, non plus, décrocher la tête de la course électoraliste à la xénophobie, mais en jouant hypocritement sur plusieurs tableaux à la fois : flattant l’intolérance, d’un côté, tout en proclamant publiquement son antiracisme, de l’autre. C’est ainsi qu’on peut interpréter son « on nettoiera la Cité des 4000 », proféré devant des journalistes lors de sa visite à La Courneuve le 20 juin dernier, au lendemain de la mort par balles d’un enfant de 11 ans. Face à la famille de la victime, il aurait ajouté l’expression « nettoyer au karcher ». Les sous-entendus viennent ici titiller dans l’inconscient collectif l’amalgame entre « délinquance » et « immigration » ; équation fausse rendue efficace par des décennies de propagande frontiste et, à sa suite, d’ambiguïtés dans les discours de droite et de gauche. C’est aussi au « nettoyage » des « fellaghas » par l’armée française et ses tortionnaires dans l’Algérie en guerre d’indépendance contre la France coloniale que peuvent renvoyer implicitement les paroles de Sarkozy.
Nos politiques, aux sourires Hollywood chewing-gum et aux dents longues, aux mains blanches et aux mots qui puent, jouent avec le feu. Car indirectement, en entretenant la haine, les amalgames et les fantasmes, il y a des mots qui sont susceptibles de tuer : des « assistants murderers », selon le titre de la nouvelle de Hammet ! Contre ces mots, ethnicisant le débat politique, nous avons à redonner des tonalités contemporaines aux mots de l’humanisme critique et à ceux de la question sociale. Ceux de « L’internationale sera le genre humain » de 1871…
Par Philippe Corcuff/dessin de Charb